Publié le
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Je débutai et terminai cette randonnée à la nuit et vis ainsi toutes les couleurs de ce jour, le 30 septembre 2023.
Deuxième visite à Montréal cette saison pour un brevet de longue durée à vélo : voilà l’occasion de rouler « en gang » car le nombre de participants reste encore anémique à Québec. Mais pourquoi alors laisser tout ce beau monde derrière rue Victoria avec à peine un kilomètre de bitume au compteur ? Atavisme du solitaire qui aime secouer ses puces dès le début d’une sortie.
Je filai donc à l’anglaise et roulai à mon rythme. Au menu de ce jour : trois cent huit kilomètres de route jusqu’au fin fond sud-ouest de la Montérégie, tout près des frontières américaine et ontarienne et d’Akwesasne. Je ne m’étais jamais aventuré aussi loin à vélo mais ces toponymes (Dundee, Hinchinbrooke, Godmanchester, Elgin, Sainte-Barbe, rivière La Guerre…) ne me sont pas étrangers car j’ai travaillé pour la MRC du Haut-Saint-Laurent il y a de cela quelques années. J’arrivai donc le premier au contrôle 1 de Sainte-Clotilde. Le temps de faire signer le carnet, de croquer la jolie église en face et de m’étirer un brin, je me remis en selle au moment où le « pack » se pointa.
Nouveau parcours en solitaire sur des routes que nous parcourûmes il y a quelques années sur un ancien (et regretté) tracé du brevet de 200km. À Saint-Antoine-Abbé, je saluai la « dame aux trois oies » qui justement promenait ses trois oies bien en chair. Au dépanneur de Franklin qui décidément a perdu bien des plumes, je fus à nouveau le premier à faire signer mon carnet. J’y fis un arrêt plus long, assistant à l’arrivée d’une bonne dizaine de randonneurs.
Nouveau départ seul et découverte de ce très bel itinéraire longeant la frontière de l’état de New-York et filant plein ouest. J’y croisai et saluai deux cyclistes filant grand train. Je perdis mon maillot jaune virtuel au kilomètre 118 alors que trois compagnons de randonnée me rejoignirent et me dépassèrent à bonne allure. Je ne perçai pas ma bulle et les regardai s’éloigner et prendre le large. Plus loin, un « train » de 54 motocyclistes roulant en sens inverse (confidence : ma détestation de ce mode de transport est directement proportionnelle au niveau sonore de ces engins). Alternance de zones boisées et dégagées. Lumière matinale, soleil oblique : j’adore.
Graduellement, fatigue et douleurs prirent leur place et j’anticipai la fin de cette troisième section du brevet. Au terme d’un tracé en zig-zags franchissant plusieurs fois une voie ferrée, puis une dernière ligne droite au cours de laquelle je recroisai le trio de tête, voici le poste frontière marquant la fin (ou le début) de la route 132. Quatrième sur place, j’y restai en gros un quart d’heure et y mangeai un peu, bientôt rejoint par plusieurs randonneurs dont Michel Lemaire, Kathia Saillant, Marc Bisaillon…
On remet ça et on repart en sens inverse pour entamer le chemin de retour vers la métropole, encore distante de plus de 160km. Le soleil est maintenant haut et baigne la campagne d’une lumière plus crue. Je commence à sentir la soif (il n’y a guère de point de service dans le coin). La fatigue, maux de dos et de cou se font plus présents et je commence à trouver le temps long. Je boude un arrêt possible à Cazaville, guettant le prochain virage et la fin d’une autre ligne droite me rapprochant du prochain point de contrôle de Huntingdon. Voilà que ça repart vers le sud-est, avec quelques bosses vers le bien nommé chemin Crest puisque ce dernier chevauche en effet une hauteur de terrain séparant deux bassins versants : derrière moi le Saint-Laurent, devant la rivière Châteauguay. Après avoir longé cette dernière, voici enfin Huntingdon et son pôle commercial (moche sans surprise) construit à sa périphérie : ainsi meurt un vieux centre de village et est-on obligé de s’y ravitailler en automobile. J’arrive sur place passablement déshydraté et usé et y revoit à nouveau et pour la dernière fois le trio de tête. Je passerai une bonne heure sur place à boire, manger, m’étirer, bref à m’y refaire une santé. Pendant ce temps, une grande partie du « pack » m’y rejoignit. On mangea et but assis sur les tables à pique-nique dehors.
Je repris la route avec le gros du groupe : c’était le temps de socialiser et de prendre épisodiquement la tête d’un peloton où, autrement, je pourrais rouler peinard dans le sillage de celui ou celle qui me précèderait ! Cela prit quelque temps à s’organiser ainsi; pendant que madame et messieurs roulaient tranquille derrière, une caravane de quelques 48 motos nous dépassa (je conclus que les 6 manquantes vues ce matin avaient fini dans quelque fossé !). Peu de temps après le virage à droite vers Sainte-Barbe, le « train » se pointa enfin et j’y intégrai la troisième, puis la quatrième place. Arrivé au village, je pris le virage puis un deuxième au plus près et pris quelques centaines de mètres d’avance. On s’approchait alors du lac Saint-François et je savais que nous allions éventuellement prendre à droite; par contre, connaissant peu le coin, je me fiais aux indications de mon cyclomètre. Comme cela arrive parfois, ce dernier négligea de me signaler une bifurcation et c’est sur ce petit bout de route que je n’aurais pas dû emprunter que je crevai et que je vis le groupe passer au loin et prendre le large.
Je retirai un clou de bonne taille du pneu arrière et changeai de chambre à air sous le chaud soleil, puis repris la route à nouveau seul en direction du canal de Beauharnois. Petit itinéraire tranquille où je croisai plusieurs cyclistes récréatifs. Première balade le long du canal artificiel creusé à l’initiative d’un certain Sweezey. Sur cette surface un peu inégale et avec un paysage changeant peu, j’y trouvai le temps long. Côté faune par contre, il est rare que je croise des grenouilles lors de mes balades à vélo ! C’est une vingtaine de minutes avant dix-sept heures que j’arrivai au dépanneur constituant le cinquième point de contrôle de ce brevet. J’y retrouvai là neuf cyclistes sur le point de reprendre la route. Resté là une vingtaine de minutes et après avoir refait réserve d’eau, je vis au loin le quatorzième du groupe mettre pied à terre alors que je remontais en selle.
Il me restait un peu plus de 70km à franchir et je décidai de viser un petit arrêt à Saint-Rémi, 36km plus loin; je découpai mentalement les trois étapes pour m’y rendre : d’abord Sainte-Martine (10km), puis Saint-Urbain-Premier (12km) puis enfin Saint-Rémi et son resto de beignes où je pourrais remplir ma gourde (14km). Le soleil était alors sur son déclin et le monde se fit orangé. Revers du matin, nouveau plaisir pour les yeux. Me rapprochant de la grande ville où je vécus de nombreuses années, je retrouvai routes de vélo et souvenirs de sorties. Il y a de cela une quinzaine d’années, à l’occasion d’un Défi Métropolitain, j’avais ainsi parcouru le rang Saint-Antoine au sud de Saint-Rémi et y avait croisé de nombreux travailleurs agricoles étrangers allant et revenant de « la grande ville » à vélo. Près de mon chez-moi d’aujourd’hui, j’ai fait de semblables rencontres sur le chemin Vire-Crêpes à Lévis. Ce soir-là au sud de Saint-Rémi, dans les dernières lueurs du jour mourant, je croisai plusieurs d’entre eux à bicyclette ! Je les saluai invariablement et reçu en retour signes de la main et sourires.
Après mon court arrêt à Saint-Rémi, je filai sur la piste cyclable longeant la 221. Au loin, tous phares allumés, des machines agricoles arpentant des champs où se dressent ça et là de grandes éoliennes. Vinrent les rangs Saint-Simon et Saint-Régis et le temps d’allumer feu rouge à l’arrière et feu blanc à l’avant. Arrivé à Candiac, je complétai la chose en revêtant ma chasuble réfléchissante. Retour à la ville, ses lampadaires, feux de circulation et multiples véhicules.
Franchissement de la passerelle au-dessus de l’autoroute face au vieux Laprairie et ses abords sinueux en diable, puis dernières fraîcheurs lors de la traversée de la rivière Saint-Jacques et ses zones humides. Passage deux fois sous l’autoroute construite sur la berge du fleuve avant un dernier coup de collier dans Saint-Lambert pour rejoindre le sixième et dernier point de contrôle en treizième position où je rejoignis un peu passé vingt heures ce peloton où j’officiai quelques minutes aujourd’hui. Au final, j’ai dû rouler plus de 300km en solo ce samedi !