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Rencontres
J’avais depuis un bout de temps coché la case du 10 juin à mon agenda : ce jour-là, le brevet de 400km au départ de Québec (le second et dernier de la saison) et celui de 600km ayant pour point de départ Repentigny (le premier de la saison) allaient se croiser dans le parc de la Mauricie (sur 86km) et une seconde fois entre Cap-Santé et Saint-Maurice (sur 66km).
Je ne m’étendrai pas sur mon hésitation à me lancer dans pareille aventure (je l’ai déjà fait dans mon récit du brevet de 300km de début de saison en 2019), sinon pour affirmer qu’elle est plus que jamais présente. Cela dit, le fait de participer à la seconde édition du brevet de 400km de Québec me permettait de mieux me préparer. Et puis enfin, hormis quelques possibilités d’averses, miss météo nous souriait en ce 10 juin : je me mis donc la corde au cou et avisai le groupe sur le fil de discussion commun (« hé, on va peut-être se voir dans le parc de la Mauricie ! »).
J’observai que le kilométrage 200 des deux brevets correspondait à peu près au « creux » de Wapizagonke dans le parc fédéral et ce point me servit de référence : où exactement allais-je rencontrer ces hardis du chapitre montréalais du club ? Parti avec quelque délai, je pris rapidement du retard sur l’horaire « à la Pascal Philippe » que j’avais établi, multipliant les arrêts pour soulager dos, fesses, cou… Ce n’est donc pas surprenant que je vis arriver en trombe Carl Fréchette alors que je venais de payer mon écot à l’entrée de Saint-Jean-des-Piles du parc : rencontre fugace histoire de s’identifier « sur le fly » et de se souhaiter bonne route.
Que de cyclistes sur la route promenade traversant le parc ! Ceux habitant dans le coin doivent la parcourir à de multiples reprises à chaque saison. J’en croisai donc plein en sens inverse que je saluai invariablement, la plupart roulant très léger : des cyclistes d’un jour. Mais je finis par croiser des maillots bleus ou d’autres randonneurs à l’évidence partis pour longtemps; c’est d’ailleurs sans doute cette allure (dossard réfléchissant, sacoche de selle de gros volume) qui permit à quelques « montréalais » de m’identifier derechef : à part la « bombe Fréchette », je crois que c’est Jonathan Abitbol qui me reconnût le premier. Nouvelles rencontres fugaces, l’un ou l’autre se trouvant qui en montée, qui en descente et ne coupant pas son allure. Signe de mon train modéré de ce jour, je vis le gros du club avant d’atteindre ledit « creux » et reconnus notamment Jean Robert, Michel Lemaire (que je hêlai sans succès), Martin Dugré, Gabriel Audet, peut-être Olivier Caty… Je croisai Pascal Philippe passé Wapizagonke (nouvel échec pour échanger un bonjour complice).
J’arrivai à l’accès de Saint-Mathieu-du-Parc vers les seize heures et poursuivis mon chemin vers les contrôles de Shawinigan et Saint-Maurice où je m’offris quelques gâteries en ce début de soirée. Place à la solitude tranquille de ces chemins me menant à Sainte-Geneviève-de-Batiscan, puis au chemin du Roy : les cyclistes récréatifs d’une journée sont rentrés à la maison et, hormis quelques ados ou enfants croisés dans l’un ou l’autre village, ce sont d’étranges cyclistes que l’on rencontre alors que le jour baisse et fait place à la nuit, alors que quelques averses tardives viennent arroser ce coin de pays (j’ai été très verni de ce côté, passant habituellement juste avant ou juste après). En voilà justement un de ces « étranges » croisé dans le coin de Saint-Luc-de-Vincennes roulant comme un triathlète. Je le saluai comme le veut l’usage et finis par me convaincre qu’il s’agissait peut-être de Carl Fréchette sur le chemin de retour ! Idem pour ces extra-terrestres lumineux rencontrés à Cap-Santé et que j’identifiai tout bonnement comme des cyclistes audacieux aimant rouler de nuit avant que je ne comprenne un peu plus tard en consultant l’itinéraire de l’autre brevet qu’il s’agissait de participants au brevet de 600km !
Voilà pour mes rencontres cyclistes de cette longue journée. En ce qui concerne l’autre faune, ces quatre cents kilomètres de route en solitaire ne dérogèrent pas à la règle selon laquelle l’automobiliste débile est heureusement ultra minoritaire. Je ne recensai que trois rencontres désagréables, la dernière s’étant produite à la sortie de Deschambault quand on me doubla en klaxonnant et que l’on me lança une canette de bière ouverte et qui n’était pas vide; il y a de cela onze années que je n’avais pas vécu cela : le crétinisme à son meilleur. Sinon, pour conclure sur ces rencontres du jour, outre tous ces caissiers de dépanneurs, je relevai, pêlemêle, cinq ou six chats, un voilier d’oies, des tas de libellules, les inévitables moustiques, des vaches, des chevaux, une moufette, un chevreuil, des moutons, quelques toutous et un volatile genre gélinotte huppée ou tétras, sûrement une femelle, qui me fit tout un show, courant à mes côtés en agitant frénétiquement les ailes, à l’évidence pour m’intimer l’ordre de sacrer mon camp !
Cela se passa justement aux environs du kilomètre 200, près du lac Wapizagonke.
Marc Lusignan