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1- L’angoisse de mon premier 600 km
Je suis à mon premier brevet avec le Club Vélo Randonneurs de Montréal. Le départ se fait à 5h00 AM au Parc Nautique de St-Lambert. Je suis avec Jacques Desmeules de Baie St-Paul que je connais peu mais qui est intéressé comme moi au Paris-Brest-Paris en 2011 (1 200 km). Jacques a plus de 8 400 km de vélo dans les jambes avec beaucoup d’expérience dans les côtes et moi près de 5 000 km. On a couché la veille dans un B&B «Le refuge du poète» dans le Vieux Longueuil. Linda, ma conjointe, nous accompagne et va rester en «standby» à Longueuil au cas où on aurait un problème majeur. Cela nous sécurise et elle est merveilleuse de nous donner de son temps. Elle va d’ailleurs conduire la voiture dimanche pour notre retour à Lévis…
On se lève à 3h15 AM. On mange un peu au Tim Hortons. On a mal dormi, c’est normal car on part à l’aventure. On se connaît peu Jacques et moi, on ne connaît personne du Club et on connaît peu le parcours. Aussi, on ignore la qualité des routes et leur sécurité pour le vélo (avec ou sans accotement); on est particulièrement inquiet pour les routes que l’on va faire de nuit. Finalement, on sait qu’on va rouler près de 70 km sur la 112.…la fameuse route meurtrière (avec 3 triathlètes disparus au printemps). Rien de rassurant.
Le trajet. On se rend au Lac Mégantic et le dénivelé est de 5 150 mètres. On a bien reçu une feuille de route avec des instructions que j’ai «taponné» toute une soirée pour les transférer sur une carte géographique car il y a beaucoup de changement de routes. Avec officiellement 607 km à faire, on ne veut surtout pas se tromper et en faire un seul de plus ! On prévoit dormir seulement 30 minutes. On sait que certains cyclistes vont dormir 3 à 5 heures à Lennoxville à l’Université Bishops. Disons que l’on va sortir pas mal de notre zone de confort même si moi et Jacques avons fait le kilométrage requis pour s’embarquer sur une telle distance et ce, sans aucun encadrement. A vrai dire, c’est inquiétant.
2- Un départ de cyclosportive
Vers 4h30, les randonneurs du Club commencent à arriver. On se présente et les premiers contacts sont réconfortants. Je vais parler un peu avec Marcel Marion, un gars de 60 ans qui a une très grande expérience et surtout une vitesse incroyable. Il avale les km comme un goinfre. L’an passé, il a pris seulement 25 heures pour faire le brevet ! Il détient, je crois, presque tous les records du Club. Moi, je pense faire le brevet en 30 heures.
On se prépare et Jean Robert, le président, nous donne les dernières directives et notre carnet en carton que l’on devra faire signer à 7 points de contrôles établis d’avance. On est 11 participants. C’est un nombre record pour un premier 600 km de début de saison !
Au départ, on a tous le même objectif : suivre ceux qui connaissent le parcours car entre St-Lambert et le premier point de contrôle à St-Césaire (55 km), il y a 25 changements de routes.
Vers 5h 05, on part. C’est relax sur les premiers tronçons mais assez rapidement on roule.…on roule vite.…on roule un peu trop vite selon moi. Le compteur est entre 32 et 38 km/hr. On est finalement un groupe de 8. Petite pause pipi et on repart.
Dans un rang, avec un vent de côté, je commence à décrocher. Marcel, qui se reposait un peu à l’arrière après nous avoir tiré la majorité du temps, vient me couper le vent et me ramène dans le peloton. Merci Marcel !
Arrivé finalement à St-Césaire, on arrête au Dépanneur Beau-Soir et on fait nos emplettes (eau, lait au chocolat, etc.). Le groupe de tête repart mais Jacques et moi ne sommes pas prêts. C’est tant mieux car la vitesse est trop élevée pour un si long parcours. Cette décision s’est avérée excellente car un peu plus tard, on va dépasser la plupart des cyclistes. Seulement deux resteront en avant de nous, dont Marcel, évidemment.
3- En route vers le Lac Mégantic
On roule bien ensemble, Jacques et moi. Il prend de plus longs relais car il est en grande forme. Même s’il roule avec un vélo de cyclotourisme et avec des sacoches garnies de produits Maxim, on roule à la même vitesse.
Au point de contrôle no 3 à Cookshire, après 236 km, on voit les deux premiers cyclistes. Ils sont surpris de nous voir si près d’eux, surtout Jacques avec son vélo chargé.
Après une pause de 20 minutes, on repart. On monte.on monte..la route est chaude et le soleil nous plombe dans le dos. Il y a peu de répit. Mon rythme diminue et Jacques m’attend un peu dans le haut des côtes. Je lui dis qu’aussitôt que le soleil va commencer à diminuer, je vais prendre du mieux. Et effectivement, c’est ce qui arrive.
Toutefois, après 300km, c’est au tour de Jacques de ralentir. Avec toutes les côtes qu’on a montées, il commence à sentir vraiment le poids de son vélo. Son niveau d’énergie a chuté et tout semble plus difficile.
Arrivés à 19h25 au point de contrôle (Tim Hortons) au Lac Mégantic avec 339 km parcourus, il ne fait plus de doute que le repos est requis. Il faut manger et reprendre des forces. La partie suivante sera de nuit et on aura 90 km à faire avant de trouver quoi que ce soit comme bouffe et liquide à Lennoxville. Jacques reprend un peu du mieux mais, sans plus.
Deux autres cyclistes arrivent au Tim Hortons. On placote et finalement on convient que l’on devrait coucher au Lac et partir tôt dans la nuit. Après vérification auprès d’un hôtel, il n’y a malheureusement plus rien de disponible au Lac. L’aubergiste avait vérifié pour d’autres voyageurs auparavant.
OK, on se prépare donc pour rouler de nuit. On se rend au dépanneur faire le plein de liquide et je pars avec Jacques vers 21h.
4- La nuit sur une route en plein bois
On roule sur la 214: beaucoup de bois et très peu de villages. Des fois, il y a un accotement, des fois pas. Dans le bas d’une côte, à environ 45 km/hr, l’accotement asphalté s’arrêtait abruptement et on changeait pour du concassé, sans avertissement, évidemment. Le moins qu’on puisse dire, c’est que c’est surprenant. Je me considère très chanceux de ne pas avoir perdu le contrôle et ne pas avoir crevé ! Malgré un bon système d’éclairage, la nuit, on doit rouler moins vite et, de toute façon le cerveau réagit au ralenti avec la fatigue accumulée.
Une autre fois, c’est un chevreuil mort sur le bord du chemin que j’évite de justesse.
Les chiens sont aussi à surveiller. Deux cyclistes ont raconté que l’an passé, un chien «monstrueux» a sorti de nulle part pour les surprendre. Alors tout le temps sur la route, j’étais aux aguets. Où est le chien.. À chaque maison de campagne que je devinais sur le parcours, je m’attendais à ce qu’un chien surgisse. Finalement, je passe près d’une haie et j’entends japper LE CHIEN. Mes pulsations montent en flèche et je sprint comme Cavendish. ou presque. Je me retourne, je ne vois pas le chien. Était-ce bien LE CHIEN ou plutôt, le fruit de mon imagination ? Je ne le saurai jamais.
5- Une nuit à la belle étoile
Après 2 heures de vélo en pleine nuit, la fatigue est de plus en plus présente. Jacques n’a pas encore réussi à retrouver son énergie et il a de plus en plus de difficulté à me suivre. Il me suit à environ 50 mètres et cela semble très exigeant.
Je sais que le seul moyen pour reprendre des forces dans une telle situation, c’est d’arrêter et dormir un peu.. Mais où ? On est en pleine nuit, en plein bois et au milieu de nulle part. Je m’attendais à voir un beau petit parc sur le bord d’un lac.. mais non, il n’y a rien.
Finalement, à l’entrée d’un très petit village, je vois une petite chapelle en bois sur le bord du chemin avec un éclairage au devant. Parfait. J’arrête et j’attends Jacques. Je lui dis que l’on va dormir ici, en arrière de la chapelle, sur le gazon. Il est probablement trop fatigué pour me contredire. Il est 23h15.
Sans grand hésitation, on se couche à environ dix pieds l’un de l’autre. sur le gazon et on se repose. On cherche chacun la position la plus confortable .sur le sol dur. Pas facile à trouver.
Je dors un peu et me réveille en grelottant, malgré la température chaude. Je sors mon imperméable puis je me rendors. Je me réveille et j’ai froid aux jambes. Je vais chercher ma couverture de survie en aluminium et je m’enveloppe comme un nouveau-né. Je dors. Vers 3h00 AM, je me réveille en même temps que Jacques. On parle un peu et Hop, on repart.
On reprend notre énergie avec le soleil levant et le stress de la nuit se dissipe au même rythme.
Finalement, on arrive à 5h15 au Tim Hortons de Lennoxville: Madame, votre plus gros café SVP !
6- Magog — La fameuse côte du triathlon
Les triathlètes que participent au triathlon de Magog doivent passer par la fameuse côte de la rue Southière, courte mais très à pic, une casse-patte. Je le sais, j’ai fait le demi-ironman de Magog.
Eh bien, nous aussi les Randonneurs, après plus de 460 km dans les jambes, on se tape la même côte suivie de celle du Chemin des pères. Pas très évident.
7- Où est Jacques ?
Je roule à une bonne cadence sur le chemin des Pères; je connais le parcours et l’aime bien. Il y a quelques côtes, pas trop longues, et le parcours est vivant avec ses courbes. Je perds de vue Jacques mais je ne m’en fais pas; il va revenir sur moi, c’est certain. Il a retrouvé son énergie après nos quelques heures de repos.
Après avoir roulé sans le voir pendant 20 minutes et avoir gravi une bonne côte, je m’arrête un peu pour attendre Jacques. Cinq, dix, quinze minutes plus tard, Jacques n’est toujours pas là. Ce n’est pas normal. S’il avait eu une crevaison, il aurait eu le temps de la réparer. C’est donc majeur: bris mécanique ou chute. J’appelle donc Linda pour lui dire qu’il y a un problème et de se tenir prête.
Je n’ai pas le choix, je dois descendre la côte… pour la remonter plus tard ! Je retourne donc sur mes pas à la recherche de Jacques. Finalement, après 5 km, on se croise. Il m’explique qu’il a tourné vers la droite dans le haut de la côte Southière car il m’avait vu me diriger dans cette direction. C’était effectivement le cas mais j’avais bifurqué vers la droite simplement pour le voir plus longtemps… avant de me diriger dans la bonne direction… vers la gauche !
8- En pleine course de filles . junior
Dans la région de Bolton, Éric Bouliane nous rejoint. Il était avec nous au Lac Mégantic et on l’avait perdu de vue; il s’est reposé quelques heures à Sherbrooke.
Tout à coup, on se rend compte qu’on est sur le parcours d’une course de vélo pour filles. C’est intéressant. Aux intersections, il y a des contrôleurs et on profite de la situation. Trois filles me dépassent et je m’accroche à elles. Elles font de superbes relais de 5 secondes chacune. Je me tiens en retrait d’environ trois pieds pour ne pas les déconcentrer. Il y a un vent de face. On va rouler ainsi à 32 km/hr pendant près de 20 km.
Je leur parle un peu et elles me disent qu’elles font un 90 km et vont finir… avec une côte de 5 km. Oups: je me demande si moi aussi je vais faire cette fameuse côte. Je pensais que les côtes, c’était bel et bien fini. Au fond, je l’espérais.
À une intersection, je constate qu’elles doivent tourner à droite et nous on doit continuer. Merci, j’évite «leur» côte.
9- Enfin! L’arrivée !
Pour le reste du parcours, on roule à trois et tout va bien. Il y a peu de côtes (enfin) et le vent de face n’est pas trop fort. J’ai surtout mal au postérieur et je dois souvent me lever de ma selle pour apaiser la douleur.
On arrête à Cowansville (point de contrôle no 6 à 518 km) et aussi à St-Césaire (571 km) pour faire le plein et aussi pour reposer mon pied gauche que est en surchauffe.
Par la suite, on passe à Chambly, Saint-Hubert et Longueuil sans problème car Éric connaît bien la région. C’est vraiment apprécié, surtout en fin de parcours. On trouve un peu le temps long car il y a beaucoup d’intersections avec des lumières à traverser à partir de Chambly. On est fatigué et nous devons demeurer très alertes.
Sur la rue Victoria, il ne reste que 4,8 km à faire. On est super relax. On sait qu’on vient de réussir notre brevet et la satisfaction est immense !
Au dernier point de contrôle (Couche-Tard), on présente fièrement notre carnet en même temps: 15h56. Cela nous fait donc 34h56 pour 605,7 km.
On placote un peu en buvant encore du liquide. Je mange un sandwich à la crème glacée qui me fait tant de bien. On réalise que Paris-Brest-Paris (1 200 km), c’est un défi immense et que les efforts requis pour le réussir seront énormes.
10- Un test concluant
Ce premier brevet était toute une aventure. Je l’ai bien réussi et testé bien des choses. Mon vélo Litespeed en titane et l’équipement choisi ont été très satisfaisants : Lumière Cygolite MityCross de 300 lumens, pneus Continental Gatorskin de 25 mm (aucune crevaison depuis 2 ans), sac arrière Voyageur accroché à la tige de selle, pédalier compact, selle SMP.
Ma stratégie d’alimentation aussi a bien fonctionné: une bouteille d’eau et une autre avec un produit énergétique, jujubes et carrés aux dattes en roulant, sandwich ou bagel et lait au chocolat aux différents points de contrôle et finalement, quelques gâterie à la crème glacée pour aider à combattre la chaleur.
Je me sens confiant pour PBP 2011 et je vais poursuivre mon entraînement en conséquence. Prochain défi «J’ai vaincu mon Everest» au Mont Sainte-Anne à Québec: un 24 heures de «up and down» de la montagne en marchant/courant.
Quelle satisfaction de réussir de si grands défis !
Michel Maranda
3 juillet 2010