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On va commencer cette histoire au deuxième chapitre, le premier aurait narré ma valse-hésitation des dernières semaines, mes innombrables consultations des sites météo (va-t-il y avoir de la pluie, du vent, de la chaleur ?), mes interrogations sur mes capacités physiques, la planification minutieuse de ma progression (drogué d’Excel) et la visualisation des différentes étapes du parcours dans ma tête : tout ça est connu, c’est toujours ainsi, un brevet, ça me turlupine des jours et des jours à l’avance…
Or donc, me voilà au parc Saint-Laurent à Repentigny à 4h43 ce samedi 13 juillet 2024. J’y trouve les trois autres inscrits à ce brevet de 600km (je ne les connais pas) et deux « touristes » connus eux : Marc Bisaillon et Gabriel Audet. Photo et recommandations avant le départ et nous voilà partis pour ce qui sera mon tout premier brevet de 600km. Tout de go, alors que je fais un brin de causette avec mon homonyme, Michaël Mallet se détache nettement, quelques minutes encore et on le perdra de vue définitivement.
Mais voilà qu’au kilomètre 8, en plein Repentigny encore que, détaché moi aussi, je tombe sur une chasuble réfléchissante en plein milieu de la rue. À l’évidence, elle appartient à mon prédécesseur; je la ramasse et l’attache sur ma sacoche de selle, espérant bien la rendre à son propriétaire. Malheureusement, ce dernier constatera la chose bien tard et m’avouera alors avoir décidé d’abandonner de crainte de rouler la nuit sans sa vareuse. Sur ces entrefaites, Mike Ghenu me rejoint et je l’aurai juste derrière moi sur une partie de la route vers Berthierville. Voilà dix-sept ans que je n’avais pas roulé sur cette section du chemin du Roy et, côté urbanisme, ça ne s’est pas vraiment amélioré : les cœurs de village (autour de l’église) sont toujours jolis mais entre eux et particulièrement entre Repentigny et Saint-Sulpice, aie aie…
Le premier point de contrôle désigné est le restaurant appartenant à Ronald à Berthierville. Snobant l’endroit, je me dirige vers le Tim Hortons en face sous les dernières gouttes d’une petite averse. Je redécouvre alors un monde que le cinquantenaire de classe moyenne que je suis avais un peu oublié : les fourmis laborieuses qui y œuvrent sont jeunes, ne comprennent à peu près pas le français, un peu mieux l’anglais et n’entendent à peu près rien aux brevets de longue durée ! Indiquer l’heure sur un bout de carton et y apposer ses initiales, c’est comme si j’avais demandé de me signer un chèque en blanc drainant toutes leurs économies ! Je rencontrerai les mêmes difficultés le lendemain après-midi au McDo juste en face.
Signant moi-même mon carnet de route, je vois Mike Ghenu de l‘autre côté de la route prendre le large. Je ne le reverrai qu’une fois en arrivant à Saint-Edmond, très joli petit hameau au kilomètre 76. J’ai d’ailleurs beaucoup prisé cette section du brevet entre Saint-Cuthbert et Saint-Didace : de très jolies routes sinueuses et tranquilles avec une courte section (1200m) en terre. La section suivante vers Saint-Alexis-des-Monts (km 112) et son deuxième point de contrôle, où je fis une petite pause, est moins pittoresque, quoique plus roulante sur la route 349.
Le ciel s’ennuageait à nouveau vers 10h00 lorsque je repris la route vers Saint-Paulin. Le tonnerre m’accueillit à la traversée de Saint-Élie-de-Caxton et je roulai à nouveau sur des chaussées mouillées, quoique le gros de l’averse fut passé. Ce n’est pas le même sort que connurent ceux ayant traversé le parc de la Mauricie ce matin-là : rencontrés à l’entrée du parc national passé midi, des cyclistes ayant roulé en sens inverse m’expliquèrent s’être fait copieusement arrosés. Attendant en file de payer mon écot pour entrer dans le parc, il se mit à pleuvoir faiblement et je revêtis mon imperméable et quelques couches additionnelles. Tout ça se révéla inutile et j’enlevai rapidement l’imperméable au sommet de la première côte car le beau temps sera de mon côté jusqu’à ce que je franchisse le Saint-Maurice.
La traversée du parc qui concentrait le gros du dénivelé du brevet se passa vraiment bien et je me surpris d’y franchir assez facilement les principales difficultés. Cette voie promenade est vraiment un petit paradis pour cyclistes et je croisai de nombreux adeptes sur deux roues, faisant un peu la course avec un petit groupe de huit dans la deuxième moitié. Après un nouvel « arrêt eau » à la sortie du parc, je retrouvai la chaussée très ordinaire menant à Saint-Jean-des-Piles et Grand-Mère où je ratai complètement le dépanneur à côté du McDo sitôt passé la 55 où je pensais me ravitailler. C’est finalement de l’autre côté du Saint-Maurice, à Saint-Georges, où je goûterai à nouveau à la bouffe de dépanneur. Bien abrité sous l’auvent du stand à patates d’à côté, je prolongeai ma pause en laissant passer un bon orage, lequel conclut la partie arrosée de ce brevet car il ne plut plus à sa suite.
Zigzaguant entre les flaques, je m’élançai passé 17h00 vers Hérouxville, Saint-Tite et Sainte-Thècle : très jolies routes presque désertes sous ce soleil de début de soirée. Ayant fait signer mon carnet de route et refait mes provisions en liquide, je dégustai une glace en compagnie d’un Thèclois, sous une tonnelle dans le parc en face du dépanneur « Voisin ». Ce faisant, je vis arriver et repartir un cycliste équipé pour rouler longtemps et je le revis et reconnus peu de temps après, tout occupé qu’il était à réparer une crevaison, sa première de quatre de ce brevet. Yves Leung-Tack allie entre autres qualités d’être résidant de Longueuil (ma ville natale !) et natif de Madagascar. J’allais rouler quelques 200km de ce brevet avec lui.
Ayant réservé une chambre au Chavigny à Deschambault, j’avais planifié me taper la boucle de 60km passé le point de contrôle no.5 le samedi avant d’aller dormir. Me resterait alors 200 bornes à parcourir dimanche et je quitterais l’hôtel à 6h00. Pour sa part, Marc Bisaillon nous avait conseillé de mettre pied à terre au km 346 et de nous taper ladite boucle le lendemain. Boucle avant ou après dodo ? Je cogitai sur la chose toute la journée et c’est finalement à Saint-Ubalde où, constatant le mauvais fonctionnement de mon deuxième feu arrière acheté l’avant-veille, que je jugeai plus prudent d’arrêter les frais avant la boucle. M’ayant rejoint à la hauteur de Saint-Casimir, Yves pris la même décision.
Lesté de nouvelles denrées de dépanneur en guise de déjeuner pour le lendemain, je gagnai un peu avant 22h00 ma chambre d’hôtel et, lavé et installé pour la nuit, je laissai mon cerveau à off et décidai sottement de ne pas modifier mon horaire malgré ce changement d’itinéraire : c’est bien à 6h00 le lendemain matin que j’allais reprendre la route. Retraversant l’autoroute dans une brume épaisse le dimanche à l’heure prévue, je repassai devant le point de contrôle où, la veille, j’étais arrivé six heures et vingt-deux minutes en avance sur l’heure limite au-delà de laquelle je serais alors « hors délai ». Mais voilà, j’étais maintenant deux heures en retard au km 346 et cette hantise d’arriver hors délai aux trois prochains points de contrôle m’habita toute cette seconde journée !
Côté itinéraire cependant, que du terrain connu ce dimanche, roulant d’abord sur mes routes des environs de Québec, puis sur ce « Québec-Montréal » que j’ai pédalé au complet l’été dernier et dont j’ai parcouru les premières sections lors du premier Grand Tour, trente ans auparavant ! Vers Portneuf-Station puis Cap-Santé, l’humidité était dans le tapis et, sur ces routes où je roulai seul au grand matin, ce n’est que passé 7h15 que le soleil commença à percer, alors que j’avais viré de bord et entrepris de faire face au vent du sud-ouest qui n’allait faiblir qu’en soirée.
Au bout d’une longue ligne droite sur le chemin du Roy en direction de Portneuf, je vis un cycliste. Je gagnai sur lui et je rejoignis finalement un peu avant Deschambault mon compagnon de route du reste de ce brevet, Yves, lequel, parti une demi-heure avant moi, fut retardé par une crevaison, sa troisième. Sa série noire se conclut un peu plus loin à Grondines où, n’arrivant décidément pas à dompter ce pneu arrière, Yves le changea et roula tranquille à la suite.
Galarneau n’allait pas s’avérer avare de ses rayons ce dimanche et nous allions multiplier les « arrêts fraîcheur », histoire de remplir nos gourdes et refroidir nos organismes : Sainte-Anne-de-de-la-Pérade, Trois-Rivières, Louiseville, Saint-Barthélemy, Berthierville et Lavaltrie. Ce faisant, nous taquinâmes le hors délai : à nouveau en avance de 40 minutes à Trois-Rivières, notre avance passa à 35 minutes à Berthierville avant de finir 46 minutes avant l’heure limite au dernier point de contrôle de Repentigny, soit à 20h14. Sans être très fort, ce vent du sud-ouest nous tint néanmoins fort occupés et on alterna les relais tout le jour. Cela se passa assez bien car nous étions à peu près de force égale. Je ne prise toutefois guère cette pratique car elle exige beaucoup de concentration et, la fatigue aidant, je craignis plus d’une fois de toucher la roue arrière de mon leader lorsque j’occupai la position de « suiveur », ce qui heureusement ne se produisit pas.
In fine, vu ce changement dans ma planification initiale, c’est avec deux heures et demie de retard sur l’horaire théorique que j’avais dressé avant de partir que je complétai ce brevet, néanmoins réussi ! Un grand merci à Yves pour cela. Somme toute, sur un parcours d’une telle longueur et avec si peu de participants, ce fut une chance de se rencontrer et de faire équipe. C’est donc pas peu fier que je franchis enfin le « cap des 600 » après douze ans de pratique de la longue distance. Certains en tirent le fait d’avoir la grosse tête. Moi, en ce qui me concerne, c’est la taille de l’auréole qui me couronne désormais qui fait en sorte que j’passe pu dans porte !
Épilogue : je rêve d’un quelconque « brevet gourmet » où je pourrais m’alimenter d’autre chose que de cette bouffe insipide de dépanneur. Je me promets de planifier avec plus de soin mes arrêts bouffe à l’avenir !