Ceux prenant le train seront solidaires par Marc Lusignan

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Je ter­giver­sai des jours durant puis, après une harangue de ma con­jointe (« tu vas le regret­ter toute la semaine si tu n’y vas pas », « l’important, c’est de par­ticiper, tu n’es pas obligé de com­pléter la dis­tance »), je me jetai à l’eau, pris livrai­son de l’auto, y chargeai mes bagages, fis le tra­jet jusqu’à Mon­tréal, impo­sai ma présence à ma grande sœur et aver­tis Jean Robert : j’allais pren­dre le départ le lende­main du pre­mier brevet de 300km de la sai­son 2019 du CVRM.

Il faut dire que je n’ai par­cou­ru cette dis­tance qu’une seule fois en juil­let 2012. Lors de la sec­onde édi­tion de la sai­son 2015, j’avais aban­don­né sur chute le long de la 112 à Marieville. Et puis, 312km, c’est presque trois fois ce que j’avais par­cou­ru de plus long cette sai­son jusqu’à main­tenant (Front Roy­al, le mois dernier en Vir­ginie). Pis encore, je suis d’un naturel frileux et le temps s’annonçait fris­quet (me con­nais­sant et jouant au papa-poule, Jean Robert allait me con­seiller d’en met­tre une couche de plus et d’emporter mes cou­vres-chaus­sures : bien mon com­man­dant !).

Arrivé un peu juste à Saint-Lam­bert le lende­main, je me grouil­lai pour être fin prêt pour le « go » de six heures et échangeai salu­ta­tions d’usage avec quelques con­nais­sances : Michel le golfeur défro­qué, Pas­cal le cinéaste, Jean-François ayant mué du rouge au bleu (de rage ?), Marc l’ancien kar­a­vanier, Jean le maître de céré­monie.

Com­ment j’aborde cette ran­don­née ? Elle est longue, est ponc­tuée d’une bonne grosse côte, il y fera frais et le vent sera de face au retour. En 2012, en con­tra­dic­tion avec mon tem­péra­ment de soli­taire, je l’avais roulée tout du long en pelo­ton et, prof­i­tant d’une météo favor­able, nous avions ter­miné avec un bon temps de 13h07. Mod­este et pru­dent, je con­sid­érai cette fois-ci que ce serait vrai­ment bien de finir avant 20h00 et que je serais sat­is­fait de pos­er pied à terre avant 21h00. Le tout sera de partager mes efforts avec d’autres et de pren­dre le bon train : ni trop vite, ni trop lent. On ver­ra bien…

Vers la fin de Lap­inière com­mença le tri et cha­cun mon­tra ses couleurs. J’étais dans les pre­miers à ce moment-là et bien­tôt roulai dans un groupe de cinq ou six en com­pag­nie de J‑F et Jes­si­ca Bélisle jusqu’à Saint-Césaire. Ça allait bien, mais peut-être un poil vite à mon goût, car je voulais me ménag­er pour la suite. Je lais­sai donc ce train quit­ter sans moi et me dis que je prendrais le suiv­ant. Mais, quoique arrivés presque sur nos talons, ces messieurs-dames pre­naient un peu trop de temps à mon goût avant de remon­ter en selle et, tout mouil­lé déjà, je com­mençais à avoir froid. Je repar­tis donc en solo, me dis­ant que j’allais attrap­er le con­voi au pas­sage quand il me rejoindrait… ce qui n’arriva pas avant le début du soir !

À Lac-Brome, je retrou­vai un Jean-François cher­chant à se séch­er et eus le temps de voir repar­tir les pre­miers. Extrait d’un dia­logue entre deux lévri­ers sur leur départ : « Tu me rejoins ? » « Non, je ne te rejoins pas ! » Je pris une bonne pause et mangeai au coin-dîn­er de l’épicerie, bien au chaud. Mais voilà que Jean-François mis bien­tôt les voiles suivi peu de temps après de mon­sieur Lemaire pour­tant arrivé après moi. Je les imi­tai dix min­utes plus tard en m’interrogeant si je ne pour­rais pas rejoin­dre Michel… Pas sûr : j’ai vu le zigue rouler en Vir­ginie et, quoique la côte Scenic soit au menu de cette troisième par­tie, ce par­cours reste assez roulant et manque de côtes. Finale­ment, c’est à Sut­ton que je revis ces deux-là.

Arrêté tout juste sept min­utes dans le parc de Man­sonville, je vis pass­er du coin de l’œil deux cyclistes et crus recon­naître Jean Robert en tête. Arrivé au joli chemin de la riv­ière Mis­sisquoi, Éole me deman­da créance et je me retrou­vai à grimper des faux-plats sur la 39x26 : dur pour le moral d’un cycliste bien seul ! Mais bien­tôt je rejoig­nis ces deux cyclistes aperçus à Man­sonville : pas pos­si­ble que ce soit Jean Robert en avant, il va plus vite que ça ! Et pour­tant si. Mar­tin Dugré en queue et Jean vingt mètres devant. Bien­tôt rejoint, ce dernier roula un bout avec moi et me fit remar­quer qu’il n’était pas con­fort­able de me suiv­re puisque je me rel­e­vais régulière­ment pour étir­er mon dos, cas­sant alors le rythme. Mieux vaut en effet enlever une ou deux dents et con­tin­uer de pédaler en danseuse à cette occa­sion; j’en pris note.

Je m’arrêtai au « Y » au pied de la côte pour me déten­dre un peu et regar­dai Jean débuter avec peine l’ascension. Mar­tin et Galarneau se présen­tèrent en même temps et j’enlevai alors ma peau blanche, espérant un temps meilleur qui ne dura guère, m’obligeant dès Sut­ton à remet­tre mon coupe-vent. Je me lançai dans la Scenic que je gravis sans trop de peine à mon plaisir, rejoignant Jean à son som­met avant de bas­culer vers Aber­corn. Sur la 139 vers Sut­ton, je notai quelques hor­reurs archi­tec­turales : le musée des stat­ues à Aber­corn et quelques mochetés à l’entrée de Sut­ton que je n’imaginais pas si mal lotie en matière d’urbanisme !

Troisième relais au IGA de Sut­ton où je revis pour la dernière fois J‑F et Michel. Pour ma part, quelque peu mal en point et fris­son­nant un tan­ti­net, je fis à nou­veau un long arrêt ponc­tué d’un séjour à l’intérieur et d’un café chaud. Ce faisant, plusieurs ran­don­neurs allaient se point­er et repar­tir avant moi. Sur mon départ, mon cyclomètre déci­da que, après neuf heures et demie de route, il en avait sa claque. Dia­ble ! Aurai-je à con­sul­ter le « road book » sur cette por­tion moins con­nue jusqu’à Saint-Césaire ?

Je repar­tis donc prudem­ment dans la roue de Ralph Loewen avec son mail­lot du Lon­don-Edin­burgh-Lon­don et sa curieuse sacoche arrière. À l’amorce du chemin Woodard, je le dépas­sai et mon­tai la côte à mon rythme pour bien­tôt rejoin­dre la bien con­nue 215. Une tache orange apparut en point de mire et je la rejoig­nis au car­refour de la 104, pour faire con­nais­sance avec Gabriel Audet, remar­quable pour ses bras nus (sa cen­trale ther­mique est très puis­sante à l’évidence) et un joli accent. Il me suiv­it comme mon ombre jusqu’aux abor­ds de Cow­ans­ville pour pren­dre ensuite la tête. À la faveur d’un court arrêt à Dun­ham, on rejoignit Pas­cal Philippe, Véronique Robert-de-Massy et Robert Pépin. Peu après, Jean, Marc B., Olivi­er Caty et Ralph passèrent sans s’arrêter. Après la dernière bosse à la sor­tie de Dun­ham, retour au plat. Gabriel me dépasse alors avec véloc­ité et, à la peine, je décide de ne pas pren­dre sa roue, tout en espérant le garder en vue pour qu’il m’indique la route à suiv­re. Mais bien­tôt nous roulons à nou­veau de con­cert et ren­dons leur pareille au quatuor Jean-Marc-Olivi­er-Ralph arrêté à Stan­bridge-East en pour­suiv­ant vers le nord, plutôt lente­ment.

Ce duo allait pren­dre fin bien­tôt chemin Saint-Ignace où je m’arrêtai pour repren­dre de l’ibuprofène, his­toire de soulager mon dos. Pas­cal Philippe pas­sa, puis le « train de Cham­bly » se poin­ta et je l’intégrai au pas­sage. Bien­tôt on avala Pas­cal, puis Gabriel, pour fil­er vers Farhnam. Je tins bon en restant prudem­ment dans les roues de mes prédécesseurs. Quelques lead­ers en rajoutèrent une couche ou deux et on fila grand train à quelques repris­es. Alors que les meneurs lais­saient tour à tour leur place devant, je me retrou­vai en deux­ième posi­tion der­rière Olivi­er Caty. J’allais ain­si bien­tôt devoir acquit­ter mon droit de pas­sage au sein de ce pelo­ton qui comp­ta au début onze ran­don­neurs, quelques-uns d’entre eux lâchés à peu de dis­tance, alors que nous appro­chions de la 104 : enfin, la voilà celle-là !

Nous atteignons donc ce con­tourne­ment sud de Farhnam où nous devons vir­er à gauche. On y arrive à bonne vitesse, scru­tant des yeux à gauche et à droite, car les véhicules roulent rapi­de­ment sur cette grand route. Quelqu’un crie der­rière : « voiture à droite » ! Je tourne la tête et l’aperçois : elle roule assez vite mais l’individualiste que je suis, assez fatigué et soucieux de ne pas gaspiller cette énergie investie précédem­ment, éval­ue que je puis pass­er aisé­ment, tant pis pour les autres der­rière, me, myself and I ! Je reporte alors mon regard vers l’avant et la suite se déroule en deux sec­on­des : Olivi­er Caty s’est arrêté et j’arrive dessus à fond ! Je crie et écrase mes manettes de frein…

Je per­cute mon leader, légère­ment décalé sur sa droite et le propulse sans doute dans l’intersection; le Mari­noni et moi faisons une ruade. Je retombe sur mes pieds et, je ne sais trop com­ment, me retrou­ve debout, ten­ant mon vélo appuyé sur sa roue arrière. Le feu arrière est fichu et je dois replac­er ma chaîne, mais beau­coup plus de peur que de mal ! Quelque peu sec­oué, Olivi­er et sa mon­ture sem­blent ok aus­si !

Con­fon­du en excus­es et quelque peu con­trit, je peine un peu à remet­tre la chaine sur le petit plateau, alors que le reste du groupe s’est remis en marche. Par chance, ce nou­veau solo sera très court et je réin­té­gr­erai le pelo­ton arrêté à un feu rouge. On se ren­dit ain­si jusqu’à Saint-Césaire, bien groupés et maud­is­sant fis­sures et trous qui ponc­tuèrent notre périple de ce same­di.

Après un arrêt bouffe gas­tronomique dans un restau­rant générique, je repris la route avec Marc B., Ralph, Gabriel (avec des manch­es), Olivi­er et Mar­tin Dugré, bien­tôt rejoints par la « gang de Cham­bly ». Revenus sur la 112 à Marieville et me retrou­vant en tête, je coupai le vent quelque temps à mes suiveurs, mais le brûleur de feux rouges que je suis les lâchai bien­tôt. Me sen­tant bien, je la jouai solo à tra­vers Cham­bly (où je m’égarai), avant de retrou­ver la riv­ière L’Acadie. Regroupe­ment sur Grande-Allée où nous roulâmes d’abord sur un bil­lard avant une sec­tion pour­rie dans la laide Saint-Hubert. Fin du périple de notre groupe à 20h43, accueil­lis par Jean, Pas­cal, Robert et Véronique arrivés 10 min­utes plus tôt.

Vu les cir­con­stances (sous-entraîne­ment, froid et mal de dos), je suis quand même assez con­tent de cette ran­don­née. Moi qui cher­chai une par­tie de la journée le bon train pour le trou­ver dans le dernier quart du par­cours, je fail­lis ter­min­er ma journée pré­maturé­ment (en emmenant un com­pagnon de route avec moi par-dessus le marché !) en rai­son d’une erreur de juge­ment au sein d’un pelo­ton où le partage de l’effort et la pru­dence doivent être la règle.

Il faut par­fois s’oublier lorsque l’on roule en groupe. Ceux prenant le train seront sol­idaires.

Marc Lusig­nan