Chronique d’un abandon annoncé par Simon Unterberg

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Pour moi, tout a com­mencé après le 400 km. Je venais de com­pléter un mois et demi très chargé en brevets, cours­es de vélo, entraîne­ment de triathlon con­tinu depuis sep­tem­bre et puis sans oubli­er la vie sociale et per­son­nelle naturelle­ment. Donc, quelques jours après le 400 dans la roue infer­nale du Général Mar­cel Mar­i­on et au côté de Michel Tardif et Fred Per­mann, j’at­trappe un virus qui me donne une grippe d’une bonne dizaine de jours. Épuisé par ce virus et l’en­traîne­ment des derniers mois, je décide qu’il me faut ralen­tir si je veux me don­ner une chance pour le 600. Mais, mal­gré tout, je red­oute le prochain brevet. Je n’ai ni la forme ni l’en­traîne­ment qu’il me faudrait.

Arrive le matin du 25 où, comme d’habi­tude, je n’ai réus­si à me couch­er qu’à 00h30 pour trois heures de som­meil. Je vois Fred Per­mann et lui demande ce qu’il vise comme temps. Il me répond 28h! Dans ma tête je savais que je ne pour­rais main­tenir le même rythme qu’au 400. De plus, j’ap­prends que depuis le 4 juin il a reroulé le 400 en 45 min­utes de plus seule­ment, et en solo, puis enfilé un 200 la semaine suiv­ante à 29km/h de moyenne…C’est ma mort assurée!

Puis c’est le départ. Mon nou­veau sac-à-dos Vaude 14+3 litres avec Camel Back de 2 litres et tout mon néces­saire me pèse déjà dans le dos. Il me fau­dra répar­tir du poids la prochaine fois sur le vélo aus­si. Un bon rythme de départ. Fred est par­ti sans atten­dre qui ou quoi que ce soit. Oubliant son Camel Back, je le vois repass­er à con­tre-sens. Puis j’ap­prends qu’il avait oublié son Camel­Back et le laisse nous rejoin­dre à St-Césaire où j’é­tais arrivé rapi­de­ment avec Alain et Bernard. Fred repart de plus belle en me lançant: ‘tu vas me rejoin­dre Simon!’ Deux­ième erreur de ma part après m’être présen­té ce jour là les bat­ter­ies faibles sans grands entraîne­ments: sprint­er pour rat­trap­er Fred. Une fois rejoint, on se met à rouler de manière soutenue face au vent et cet effort me donne mal aux reins. C’é­tait la troisième erreur du jour. Est-ce le poids de mon sac ou l’ef­fort déployé mais je dois bris­er mon rythme de temps en temps pour me soulager de ce mal érein­tant. Je vois bien que je ne peux soutenir cette cadence longtemps si je veux seule­ment espér­er ter­min­er ce brevet. Bien vite mes forces faib­lis­sent et Fred doit ralen­tir pour m’at­ten­dre. À la belle halte du Lac-Orford, je lui dis que quand il me dis­tancera la prochaine fois, de ne pas m’at­ten­dre. Ce qui arrivera dès les pre­mières côtes der­rière le Mont-Orford.

Me voilà ren­du seul. Je roule tout de même sans m’ar­rêter. Sauf pour rem­plir mes gour­des dans un boy­au d’ar­rosage dou­teux d’une rési­dente en plein jar­di­nage à Hat­ley. Et en ressen­tant de plus en plus un dés­espoir démoral­isant. J’ar­rive à Comp­ton au km 180 exas­péré à 12h30 pen­sant y crois­er Fred mais j’ap­prends qu’il s’ar­rê­ta au dépan­neur et non à l’épicerie du coin, tout comme Gilles que je croise à mon départ à 13h. J’échange quelques mots et encour­age­ments avec lui qui sem­ble avoir un bon moral et lui fait part de ma fatigue hâtive.

L’é­tape suiv­ante est courte et ça m’en­cour­age mais à la fin de la dernière mon­tée avant la longue descente vers Cook­shire le som­meil m’en­vahi et je décide de m’ar­rêter pour une sieste dans un beau gazon devant un bel hangar. Qua­trième erreur, avoir su que ça descendait tout de suite après, j’au­rais dû con­tin­uer. Mais cette halte fût fort agréable car ce fût un bon break dans l’herbe de l’été qu’on oublie de s’oc­troy­er par­fois dans la vie. Le silence, quelques chauds rayons de soleil, un peu de vent et le bruit de quelques ran­don­neurs me dépas­sant! Par con­tre, dans ma tête, je me demande si des auto­bus pour Mon­tréal passent à Cooshire…Le début de la fin.

Puis je me relève et entre­prends la descente de 10 km avec un moral joyeux et l’im­age d’un bon Mis­ter Freeze au raisin dans la tête. Arrivé au con­trôle du km 230 j’ap­prends qu’il y a 5 ran­don­neurs devants moi. Je vois au loin, en têtant mon Mis­ter Freeze, Bernard entr­er et sor­tir du dépan­neur et à mon départ, vers 16h40, je croise les deux ran­don­neurs de Québec je crois, René et Benoit. Puis je rassem­ble mon courage avant de me lancer dans les vraies côtes du brevet mais me rend vite compte que je n’ai plus d’én­ergie ni de jambe. Et ce con­stat je le rumine dans mon esprit. Je me dis alors que je vais aller dormir dans un shack le long de la route puis repar­tir sur le pouce le lende­main pour Mon­tréal mais celui que je déniche sent l’urine et les fenêtres lais­sent entr­er les maringouins…Il me faut pouss­er jusque La Patrie, à peine dix kilo­mètres plus loin, même pas trente depuis le dernier points de con­trôle. La dernière petite côte, celle avant la bonne descente vers le vil­lage, me parait inter­minable. Je suis découragé de moi-même. Je vois à tra­vers mes yeux orgueilleux le mot aban­don à côté de mon nom dans la fenêtre “résul­tats des brevets” du site web du CVRM.

J’ar­rive à 18h15 à La Patrie (km265), mange au resto, me prends une cham­bre non pas à l’hô­tel du vil­lage (au-dessus du bar du vil­lage) qui ne coûte que $25 mais une au gîte pour $50. Ça me fera faire un peu de tourisme me dis-je et me don­nera une bonne nuit de som­meil dans un endroit accueil­lant, chaleureux et…propre! Pen­dant le repas je vois Bernard pass­er une heure après moi, je me dis qu’il s’é­tait égaré solide. Puis les deux ran­don­neurs de Québec plus tard. Ils ont éprou­vé des prob­lèmes mécaniques qui a for­cé l’un deux à mon­ter les côtes sur les deux petits pignons. Ils se dénichent une clef à molette au resto pour gag­n­er deux pignons puis repar­tent. Je leur annonce alors mon aban­don. Y’a Uryah qui passent et s’ar­rê­tent aus­si à ce mon­ment et il sem­ble avoir un bon moral. Puis plus tard Carl et Jean et je suis heureux de voir Carl car il était arrivé en retard le matin, je ne savais donc pas s’il fai­sait par­ti du brevet, lui qui visait PBP. Et beau­coup plus tard, Michel Pierre suivi par sa femme et leur camp­ing car, s’ar­rêter au coin puis je le vois mon­ter dans son véhicule et repar­tir sur qua­tre roues.

Voilà, je vais ensuite m’a­ban­don­ner au gîte puis repars sur le pouce le lende­main à 11h15 pour, trois lifts plus tard, arriv­er à mon char directe­ment à 14h30 (pas pire quand même) où je croise Fred qui vient d’ar­riv­er. Puis un peu après, Alain. Ils me racon­tent briève­ment leur brevet, moi mes mésaven­tures puis je les félicite et repars chez moi réfléchir à mon avenir. Et celui-ci me dit de me refaire une san­té et repren­dre de la force d’i­ci le 15 juil­let pour reten­ter le 600 km… avec plus de sagesse.

Simon Unter­berg
Hum­ble ran­don­neur

25 juin 2011