Compte rendu de mon Granite Anvil 1200 de 2009 par Edgar Harvey

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De 0 à 119 km : Je reste dans un pelo­ton rapi­de durant une heure. Je ralen­tis et un groupe de qua­tre cyclistes me rat­trape. Je prends la tête du pelo­ton. Je regarde der­rière et m’aperçois que je roule seul. En réal­ité, j’ai dépassé une fourche sur plus de 1 km. Je retourne sur mes pas et je ren­con­tre trois autres cyclistes qui m’indiquent la direc­tion. Je roule avec eux près d’une heure jusqu’à ce que je m’aperçoive d’une crevai­son à l’a­vant. Je rem­place le tube. Je con­tin­ue à rouler seul. Je lis mal l’embranchement de la ‘5th line’. Je lis ‘Street’ plutôt que ‘5th’. Bref, je con­fonds le 5 pour un S. Cela pro­longe ma route de 10 km aller-retour.

Je m’aperçois d’une autre crevai­son. Le pneu se dégon­fle lente­ment. Je décide de souf­fler le pneu et d’at­ten­dre mon arrivée au pre­mier con­trôle pour rem­plac­er le tube et chercher la cause de ces crevaisons à répéti­tion. Je suis le dernier à me point­er au pre­mier con­trôle. Les bénév­oles me deman­dent de relax­er et m’en­voient pren­dre un bon repas pen­dant qu’ils répar­ent ma crevai­son. Ils me sug­gèrent de met­tre un tube de for­mat 23–25 au lieu de 20–28 qui serait la cause des crevaisons. Ils me don­nent deux tubes gra­tu­ite­ment et ils m’en­cour­a­gent à con­tin­uer la ran­don­née. Les bénév­oles du con­trôle plient bagages et je repars à 12h45, longtemps après les autres.

De 119 à 253 km : Je crève au 140e km. Comme le pneu se dégon­fle lente­ment, je décide de pom­per de l’air le plus sou­vent pos­si­ble afin d’é­conomiser les deux tubes de sec­ours qu’il me reste. J’al­terne les pom­pages à toutes les heures, jusqu’à ce que le tube lâche défini­tive­ment. Alors, j’ai la bril­lante idée de jeter le pneu de 25x700 et de le rem­plac­er par un pneu de 23x700. Avec ce nou­veau pneu, je ne crèverai plus le reste du par­cours. J’ar­rive au con­trôle suiv­ant à 20h. J’ap­prends qu’en plus de moi, un autre cycliste manque à l’ap­pel avant la fer­me­ture du con­trôle. Je repars vers 21h.

De 253 à 366 km : Je suis con­scient que le fait de rouler seul dans la nuit aug­mente les risques de me tromper de route. Je suis embêté au 260e km. Le nom de Bluff Rd n’ap­pa­raît pas à l’in­ter­sec­tion de la CR 19. Je retourne en arrière sur 2 km et je dérange des fêtards pour leur deman­der la bonne route. C’est le bruit de la musique qui me dirige à leur vil­la vers 1h00 a.m.. La dame m’in­forme gen­ti­ment que mon chemin était le bon. Peu de temps après, je me trompe de direc­tion sur la Poplar S/R. Cela me retarde d’une ving­taine de min­utes sup­plé­men­taires. Je demande des infor­ma­tions à dif­férentes repris­es au sujet de la direc­tion à pren­dre sur la Riv­er Rd East. Après avoir posé des ques­tions à plusieurs jeunes qui, vis­i­ble­ment, sor­taient des bars, c’est un chauf­feur de taxi qui me don­nera la bonne direc­tion. Sur Tiny Beach­es Rd, je vire en rond à quelques repris­es pour m’as­sur­er que je roule sur la bonne route. Aus­si, je dois rebrouss­er chemin pour véri­fi­er la dis­tance entre Hwy 12 et Wie Marsh Entrence Rd. Encore là, je perds du temps. J’ar­rive le dernier au con­trôle de Vic­to­ria Har­bour à 4h a.m.

Math­ieu Lapointe, avec qui j’ai fait le voy­age en auto Mon­tréal-Oshawa, m’ap­prend qu’il aban­donne à cause de sa san­té. À mon arrêt au con­trôle, je suis traité aux petits oignons par les bénév­oles. Je mange rapi­de­ment et, pour la pre­mière fois depuis 24 heures, je dors durant 45 min­utes avant de repar­tir vers 5h30. Je pars de bonne heure parce que le con­trôle suiv­ant fer­mera à 8h30 et que je dois par­courir les 50 km en-dedans de 3 heures en ten­ant compte des risques que je me trompe de route.

De 366 à 548 km : Je roule encore seul. Je me trompe une fois de route, ce qui me pro­longe d’en­v­i­ron 4 km aller-retour. Je pointe à 8h. Je ren­con­tre trois cyclistes au con­trôle. Le fait de ren­con­tr­er trois cyclistes à ce con­trôle m’en­cour­age à con­tin­uer. Ils par­tent et je décide de ne pas les suiv­re parce que, si je brise mon rythme, j’ai peur de m’en­dormir.

Pour la pre­mière fois, je rejoins un cycliste arrêté par un train à un pas­sage à niveau. Je le dépasse. Je me trompe de route à l’in­ter­sec­tion Town Line/ 14 th Line et je fais un détour de 11.2 km aller-retour. C’est un employé de la voirie qui m’aidera à retrou­ver mon chemin. Je rat­trape les trois cyclistes que j’avais ren­con­trés au dernier con­trôle au moment où j’ar­rête dîn­er à un casse-croûte. Je les vois repar­tir depuis la ter­rasse du casse-croûte. Je roulerai encore seul. Le soleil réchauffe la tem­péra­ture. La route est en grav­elle sur env­i­ron 5 km aux envi­rons du 480e km. Je rejoins les 3 cyclistes qui roulent au ralen­ti sur la grav­elle, mais je décide d’a­cheter un cola à l’épicerie et de les laiss­er fil­er. Je talonne deux des trois cyclistes une ving­taine de kilo­mètre plus loin. Nous arrê­tons à un restau­rant-bar pour nous rafraîchir et nous abrit­er du chaud soleil. Un des cyclistes décide d’a­ban­don­ner la ran­don­née et je con­tin­ue en com­pag­nie de l’autre jusqu’au con­trôle à Sobey’s Gro­cery Store où j’ar­rive à 16h08. Je repars en com­pag­nie de Ken Knit­son et Lawrence Midu­ra du New-Jer­sey. Je ne serai plus seul jusqu’à la fin du par­cours.

De 548 à 672 km : Après une heure de route, nous déci­dons de dormir une quin­zaine de min­utes à l’om­bre, le temps que les rayons du soleil s’in­cli­nent. La route est en répa­ra­tion sur une dizaine de kilo­mètres. Nous roulons dans les roulières sur la grav­elle au cen­tre du chemin. Les auto­mo­bilistes nous con­tour­nent sans se plain­dre de la por­tion de route que nous acca­parons. Les auto­mo­bilistes roulent aus­si lente­ment que nous.

Nous arrivons au con­trôle à 00h38. Je mange de la lasagne. Mon estom­ac devient capricieux. Je veux dormir durant 3 heures, mais je dois me résign­er à dormir deux heures si je veux con­tin­uer le par­cours en com­pag­nie de Lawrence. Au lever, je tarde à me pré­par­er et Lawrence part 15 min­utes avant moi.

De 672 à 756 km : Je pars en com­pag­nie de Ken. J’ai cal­culé 5.2 km au lieu de 6.2 km pour attein­dre la fourche de Madawas­ka Cr. Cela m’a embêté. Grâce à la présence d’e­sprit de Ken, j’ai cor­rigé mon erreur. Je perds Ken de vue der­rière moi après une heure de route. Je vois un cycliste devant moi. Je pense rat­trap­er Lawrence alors qu’il s’ag­it plutôt de Jacques Besant. Jacques me dit qu’il a un nom français mais qu’il est anglo­phone. Je lui réponds que j’ai un nom anglais, mais que je suis fran­coph­o­ne.

A East Rock­ing­ham Rd, la carte dit de tourn­er dans un direc­tion alors que le chemin indique le con­traire. Nous ne voulons pas faire une erreur de 30 km aller-retour. Nous cher­chons la bonne direc­tion durant 20 min­utes Nous déci­dons de nous fier à notre intu­ition qui s’avèr­era exacte. Le tra­jet est parsemé de longues côtes abruptes jusqu’au con­trôle de Foy­mount, lui-même situé sur une crête.

De 756 à 855 km : Nous sommes 6 cyclistes à repar­tir. Je suis en com­pag­nie de Jacques Besant et Lawrence Midu­ra. Jacques nous aban­donne au pre­mier kilo­mètre. Il me dira plus tard que sa chaîne a dérail­lé. Je con­tin­ue avec Lawrence. Le soleil plombe et l’eau de nos gour­des se réchauffe rapi­de­ment. Au som­met d’une côte, je manque d’eau. Je cogne à la porte d’une rési­dence. Je demande de l’eau froide et de la glace pour moi et pour Lawrence. Le pro­prié­taire acqui­esce. Plus, il nous donne aus­si du cola. Une heure plus tard, nous arrê­tons dîn­er dans un restau­rant suisse. On dirait que tous les cyclistes s’y étaient don­nés ren­dez-vous là. J’ai d’abord com­mandé une soupe et un ham­burg­er suisse. Comme le ser­vice est lent, j’ai décom­mandé la soupe. Je n’ai mangé que la viande et le fro­mage du ham­burg­er, car mon estom­ac est devenu capricieux. Il ne digère plus les bar­res ten­dres et le gatorade. Sur une ving­taine de kilo­mètres, on dirait que’ le même traçé de la route se répète à tous les 500 mètres: Je monte une côte sur 200 mètres qui courbe vers la droite. Ensuite, il y a une descente et un bout droit sur 300 mètre et ça recom­mence sur une ving­taine de kilo­mètres. Le même tra­jet se répète : Je monte une côte sur 200 mètres qui courbe vers la droite. Ensuite, il y a une descente et un bout droit sur 300 mètre et ça recom­mence. Arrivés au con­trôle à 13h44, je ne bois que des liq­uides et ne mange que des fruits. Je demande à Lawrence s’il veut dormir une heure à l’om­bre d’un arbre avant de con­tin­uer. Le soleil de 16 heures et la chaleur sont dif­fi­ciles à sup­port­er. Lawrence accepte de dormir 20 min­utes.

De 855 à 914 km : Lawrence me réveille et nous repar­tons. Sur les cinq pre­miers kilo­mètres, la chaussée est recou­verte de petites pier­res con­cassées bien tapées. Il suf­fit de suiv­re les roulières et d’éviter les amas de gravier. La chaussée ralen­tit un peu notre vitesse. Plus loin, mes par­ties géni­tales souf­frent du frot­te­ment de la selle. La crème que j’u­tilise pour les fess­es ne soulage pas ces irri­ta­tions. Heureuse­ment, Lawrence me donne un tube d’une crème spé­ciale qui me soulage dès la pre­mière appli­ca­tion. Sur une trentaine de kilo­mètres, la chaussée asphaltée alterne avec une chaussée de gravier tapé. En descen­dant une côte à une bonne vitesse, je ne vois pas que la chaussée change de l’as­phalte au gravier. Mon vélo zigzague légère­ment, mais sans con­séquence. J’ai fini pas m’habituer à ce type de chaussée. A l’oc­ca­sion, nous ren­con­trons de longues mon­tées, mais le soleil devient sup­port­able quand il s’in­cline et la tem­péra­ture se rafraî­chit. Nous arrivons au con­trôle à 19h33.

De 914 à 1008 km : Le panora­ma est beau. Le con­trôle est instal­lé sur une scène de théâtre extérieure qui donne sur un lac avec un couch­er de soleil à l’hori­zon. Je demande à un bénév­ole de m’aider à huil­er ma chaîne. Il m’of­fre de le faire seul avec une huile en bon­bonne sous pres­sion. Pen­dant ce temps, un autre bénév­ole épluche un ananas. Je suis impres­sion­né par la générosité des bénév­oles. L’un d’eux me donne des cachets de caféine qui vont m’aider à pass­er la nuit. Nous déci­dons de dormir une heure avant de repar­tir à la noirceur. La tem­péra­ture est de 21 degrés vers 21 heures. Dans les val­lées, la tem­péra­ture tombe. Je décide de met­tre des sur vête­ment pour tuer l’hu­mid­ité. Nous roulons à grande vitesse. Après deux heures de route, nous arrê­tons à Har­row­smith où je mange un sous-marin. Mon estom­ac reste capricieux. Nous déci­dons de dormir 15 min­utes, assis et le dos accoté sur la porte d’en­trée d’une école. Nous nous réveil­lons après une heure. Un polici­er s’ar­rête devant l’é­cole et nous inter­roge. Nous lui posons des ques­tions sur le par­cours. Il nous souhaite une bonne route. Nous con­tin­uons à rouler vite jusqu’au con­trôle où nous ren­trons à 3h12 a.m.

De 1008 à 1205 km : Je par­le avec le respon­s­able du con­trôle qui est d’o­rig­ine fran­coph­o­ne. Il est âgé de 77 ans. Il me dit qu’il a com­mencé le vélo à l’âge de 60 ans et qu’il a fait 3 fois le Paris-Brest au cours des 10 années qui ont suivi. Pen­dant cette péri­ode, il a déjà été prési­dent des Ran­don­neurs Mon­di­aux.

Mon estom­ac reprend du mieux et je déje­une copieuse­ment. Je dors une heure et Lawrence vient me réveiller pour con­tin­uer la route. La brume garde la tem­péra­ture fraîche jusqu’à 9 heures. La chaleur reste sup­port­able pour le reste de la ran­don­née, mais les bidons d’eau se réchauf­fent vite. Nous ren­con­trons un à‑pic con­sti­tué de petites roches cimen­tées et de grav­elons. Nous avons réus­sis à le mon­ter sans descen­dre du vélo. Il sem­blerait que plusieurs par­tic­i­pants ont mon­té cer­taines côtes à pied durant la ran­don­née.

Nous achetons de la glace régulière­ment pour con­serv­er la fraîcheur de l’eau dans les bidons. Je bois du cola pour me rafraîchir et lim­iter le suin­te­ment. Je ne suis pas tenail­lé par le som­meil comme je l’é­tais à la fin du Rocky Moun­tain en 2008. La rai­son est que le reste du tra­jet est parsemé de collines et de val­lons escarpés qui me gar­dent éveil­lé. Le tra­jet se com­plique sur soix­ante-dix des cents derniers kilo­mètres. Nous arrê­tons sou­vent des auto­mo­bilistes aux inter­sec­tions pour leur mon­tr­er notre feuille de route et leur deman­der notre chemin, car à cer­tains croise­ments, le pro­longe­ment de la route se fait à une cen­taine de mètres plus loin. Aus­si, des noms de rue ont changé ou des mots sont légère­ment dif­férents. Les gens sont empressés de nous aider. Nous arrivons à des­ti­na­tion à 17h35. Les bénév­oles qui m’avaient aidé aux trois pre­miers con­trôles, quand j’é­tais le dernier cycliste à se point­er, pleurent de joie de me voir ter­min­er en-dedans de 84h30.

Con­clu­sion: Je remer­cie les organ­isa­teurs d’avoir réal­isé un tra­vail titanesque en nous offrant ce beau par­cours.

Edgar