Mon premier 400Km à vélo par Jean Robert

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Voici un petit résumé de ma pre­mière ran­don­née à vélo de 400Km. Celle-ci fut faite en soli­taire dans le cadre des brevets organ­isés par le Club vélo ran­don­neurs de Mon­tréal. Ils organ­isent des sor­ties de 200, 300, 400 et 600Km que l’on doit effectuer, sans auto suiveuse ni sou­tien tech­nique, dans un temps lim­ite cor­re­spon­dant à une vitesse moyenne de 15 Km/h. Ils nous don­nent au départ un itinéraire et une carte de con­trôle, que l’on fait valid­er tous les 75 kilo­mètres env­i­ron, et nous nous organ­isons pour le reste.

Faire un 400Km en vélo demande pour cer­tains un effort surhu­main tan­dis que pour d’autres c’est quelque chose qu’ils font plusieurs fois par année sans grand effort. En ce qui me con­cerne je me situe prob­a­ble­ment entre ces deux extrêmes.

Ma pre­mière vraie grande ran­don­née, et ma plus longue avant ce 400Km, fut un mémorable 311 Km effec­tué avec un ami il y a 5 ans de cela. Je fai­sais alors du vélo depuis 2 ans, j’avais moins de 700Km par­cou­rus depuis le début de la sai­son et je n’avais jamais dépassé le cap des 150Km. Nous l’avons ter­miné en 16h30 et j’é­tais dans un état lam­en­ta­ble. J’ai per­du 7 livres (3 Kg) durant cette épopée.

Depuis ce temps, chaque année je fais env­i­ron deux 200Km accom­pa­g­né au moins d’une per­son­ne et un 300Km accom­pa­g­né au moins de deux per­son­nes. J’es­saie égale­ment de me met­tre un peu plus de kilo­mètres dans les jambes avant d’en­tre­pren­dre une longue ran­don­née mais j’ai rarement plus de 500Km lorsque j’en­tre­prends mon pre­mier 200Km de l’an­née.

Cette année j’ai décidé d’en­tre­pren­dre le 300Km et le 400Km en soli­taire. J’ai fait le 300Km la semaine dernière et mal­gré une assez bonne pré­pa­ra­tion (1700Km) j’ai ter­miné avec un mal aux deux genoux à cause de ma selle qui était trop haute de près d’un pouce ( 2.5 cm).

J’ai main­tenant 2000 kilo­mètres d’ac­cu­mulés cette sai­son lorsque je m’élance pour ce 400Km.


DateTra­jet
16 Juin 2001St-Lam­bert — St-Césaire — Farham — Dun­ham — Cow­ans­ville — Magog — Stanstead plain — Magog — Orford — Water­loo — Gran­by — St-Césaire — St-Lam­bert

Comme le 300Km, j’en­tre­prends le 400Km seul. Je pars à 5h00 du matin, aucun vent jusqu’à St-Césaire (Km 50). Un vent du sud d’en­v­i­ron 25Km/h se lève juste au moment ou je bifurque en direc­tion sud vers Farn­ham (sur 35Km) mais ce sera le seul moment de la journée ou j’au­rai un vent directe­ment de face.

J’avais prévu arriv­er à mi-par­cours (Stanstead Km 225) vers 1h00 mais je n’avais pas prévu que le léger vent de tra­vers, les côtes et la tem­péra­ture de 32 degrés sous un soleil de plomb pou­vait affecter ma pro­gres­sion de la sorte.

L’a­vant-midi tout va bien, grig­no­tant figues et abri­cots séchés j’ar­rive à Bolton-Cen­ter (Km 159) vers 11h00. J’ai une moyenne d’en­v­i­ron 28 Km/h à ce moment. Je mange une soupe aux légumes et je repars vers 11h30. Il me reste une soix­ante de kilo­mètres à faire pour me ren­dre à la lim­ite extrême du par­cours. Pas de prob­lème, ça devrait se faire en 2h00, 2h30 sans arrêter.

Jusqu’à Magog (Km 185) tout va bien mais à par­tir de là, les côtes com­men­cent vrai­ment et la tem­péra­ture de 32 degrés ne m’aide absol­u­ment pas. Après quelques kilo­mètres la fatigue com­mence à se faire sen­tir et les figues me tombent de plus en plus sur le coeur alors je décide de pren­dre un “Pow­er Gel” pour me redonner un peu de vigueur. Une ving­taine de kilo­mètres plus loin je suis com­plète­ment crevé. Je m’ar­rête à un restau­rant dans l’e­spoir d’y pren­dre un repas ( Il est env­i­ron 1h30). Mal­heureuse­ment l’air cli­ma­tisé a déjà ren­du l’âme et je décide de ne pren­dre qu’un léger goûter (une banane et un muf­fin) sur la ter­rasse en plein soleil. Je repars 30 min­utes plus tard pas plus reposé qu’à l’ar­rivée.

Les côtes sont de plus en plus énormes et j’a­vance à pas de tortue. Finale­ment j’ar­rive à Stand­stead (Km 225) vers 3h30 après avoir par­cou­ru les derniers kilo­mètres à une vitesse moyenne d’en­v­i­ron 16Km/h. WOW presque 11 heures pour la moitié de la dis­tance. Ma moyenne a chuté à 24,7Km/h et en plus je suis com­plète­ment crevé. Jamais je n’au­rai assez d’én­ergie pour pou­voir revenir à St-Lam­bert en vélo.

Lors de ma dernière ran­don­née de 200Km, il y a trois semaines, j’avais ter­miné en pleine forme. Même lors du 300Km de la semaine dernière, où j’é­tais seul, après 200Km j’é­tais frais et dis­po pour atta­quer le prochain 100Km. J’ai main­tenant 225Km de par­cou­ru et je dois avouer que je ne sais pas com­ment je vais bien trou­ver l’én­ergie pour pou­voir faire les 175 kilo­mètres restants.

Une chose est cer­taine s’il restait un autre 50 kilo­mètres de côtes et que je devais affron­ter un vent de face au retour, l’e­spoir d’y arriv­er était mince. Jamais je ne reten­terai une telle aven­ture.

J’en­tre donc dans un restau­rant avec air cli­ma­tisé, je com­mande un Club Sand­wich et un 7up. Je suis telle­ment fatigué que je laisse pra­tique­ment toutes mes frites et ma salade de chou. Une heure plus tard je ressors du restau­rant un peu ragail­lar­di.

En par­tant de Stanstead direc­tion Magog sur la 143 nord un bon vent arrière me fait franchir les 15 kilo­mètres suiv­ants à une moyenne d’en­v­i­ron 40Km/h en ne don­nant que quelques coups de pédales. En plus les nuages arrivent et font chuter la tem­péra­ture de plusieurs degrés. Ma moyenne monte à ce moment à 25.3 km/h.

Ren­du à Magog (Km 260), je mange une barre énergé­tique dans l’e­spoir que ça fasse plus d’ef­fet que le “Pow­er Gel”. Je con­tin­ue jusqu’à Orford (Km 279) et je mange une crème glacée et bois un 7UP. Je ne sais pas si c’est la tem­péra­ture, la crème glacée, la barre énergé­tique ou le 7UP mais quelques temps après je me sens en pleine forme. J’at­taque les dernières côtes du mont Orford et à ma grande sat­is­fac­tion je m’aper­cois qu’il n’y a pra­tique­ment plus aucun vent.

J’ap­proche de Water­loo d’un bon train lorsque j’aperçois trois gros chiens affamés dans la rue qui fon­cent sur moi dès qu’ils me voient. Une sec­onde plus tard je rebrousse chemin direc­tion d’Or­ford à 50Km/h. Ils sont per­sis­tants mais je les décourage l’un après l’autre. Com­ment tra­vers­er ce bar­rage canin. Aucun détour pos­si­ble à moins de me ral­longer d’au moins 50 kilo­mètres. J’ar­rête la pre­mière auto qui passe et lui demande s’il veut bien me faire tra­vers­er moi et mon vélo mais comme c’est une petite auto 5 portes, pas de place pour le vélo dans la valise.

Je décide donc de pren­dre mon courage à deux mains (ou plutôt à 2 jambes) et comme je ne vois plus les chiens je fonce à pleine allure dans l’e­spoir qu’ils sont peut-être morts d’une crise car­diaque lors de leur dernière course. Pas de chance, dès que je passe devant eux ils me col­lent aux fess­es. Je ne savais pas que ça pou­vait courir à 50Km/h. Je vois une auto devant moi alors je me dirige droit dessus en me dis­ant que les chiens vont peut-être avoir peur des phares de l’au­to. Effec­tive­ment ils ont eu peur de l’au­to ou de son klax­on ( Je n’ai jamais su s’il klax­on­nait pour moi ou pour effray­er les chiens ).

Je rejoins finale­ment Water­loo (Km 308) vers 20h00. Ici lors du dernier 200Km nous avions le choix entre la route 112 ou la piste cyclable. J’opte pour la piste cyclable surtout qu’un orage s’ap­proche. Dès le début de la piste cyclable l’or­age éclate. J’en­file mon imper­méable, mange une autre barre énergé­tique, et roule vers Gran­by à tra­vers la pluie et les flaques d’eau. Tout à coup, sans crier gare, je ressens une sen­sa­tion de brûlure aux fess­es. Trente sec­on­des plus tôt je ne ressen­tais absol­u­ment aucune douleur et main­tenant c’est telle­ment douloureux que je dois pédaler debout. Après véri­fi­ca­tion je m’aperçois que le prob­lème provient de la bor­dure du chamois de mon cuis­sard qui m’a usé la peau de chaque coté des fess­es sur près de 3 pouces (8 cm). La douleur est sur­v­enue brusque­ment lorsque l’eau de pluie a fait descen­dre le sel sur cette plaie. Comme il ne me reste que 80 Km à faire pour ral­li­er l’ar­rivée je décide d’en­dur­er la douleur et je repars. Je ferai d’ailleurs au moins la moitié du reste du par­cours en pédalant debout.

J’ar­rive à Gran­by (Km 325) vers 21h00, l’or­age se calme et une petite pluie la rem­place qui ne cessera de tomber qu’à l’ar­rivée.

Il fait déjà pas mal som­bre alors j’in­stalle ma lumière avant mais elle refuse de s’al­lumer (NOYÉE). La lumière arrière fonc­tionne après lui avoir don­né quelques coups et me sera fidèle jusqu’à l’ar­rivée. J’ai aus­si des ban­des réfléchissantes aux deux chevilles, une autre sur mon sac arrière et encore une autre sur mon imper­méable ce qui fait que je dois au moins être très vis­i­ble de l’ar­rière.

J’en­fourche mon vélo et m’aperçois que mon cyclomètre affiche beau­coup de chiffres et se remet à zéro con­tin­uelle­ment. Je suis main­tenant sur la route 112 qui est assez pas­sante mais je suis bien con­tent de ne pas avoir à pass­er par des petits chemins de cam­pagne. Sans lumière avant ni cyclomètre je ne me vois pas essay­er de lire le tra­jet dans la noirceur de la cam­pagne et sous la pluie (et si une meute de chiens m’at­taquait ???).

Les 60 kilo­mètres sur la route 112 entre Gran­by et Cham­bly c’est l’en­fer pour un cycliste même de jour. Pas d’ac­cote­ment, pas mal de traf­ic mais le pire c’est l’é­tat de la chaussée : un trou, une bosse, des fis­sures sans arrêt. Je me demande encore com­ment j’ai bien pu ne pas avoir de crevai­son ou chuter sans lumière avant et sous la pluie avec mes lunettes pleines de gouttes d’eau, aveuglé par les voitures qui roulent en sens inverse. Les seules choses pos­i­tives étaient que je me sen­tais en pleine forme, sauf mes fess­es, et que je venais d’ap­pren­dre que l’on doit avoir une lampe étanche pour faire un 400Km.

Ren­du à Cham­bly (Km 360) il y a un accote­ment et le pavé est impec­ca­ble. C’est à ce moment que je suis vic­time d’une crevai­son sur un cail­lou pointu. Je la répare et me rends jusqu’à l’ar­rivée à St-Lam­bert. Il est 1h00 du matin et je me sens en pleine forme.

Nor­male­ment lorsque je ter­mine un 300Km je suis exténué et frileux mais à la fin de ce 400Km je suis en pleine forme, seul la faim me tenaille. Comme c’est la pre­mière fois que je mange des bar­res énergé­tique durant une ran­don­née, je sup­pose que c’est cela qui m’a aidé.

À mi-par­cours j’é­tais très fatigué et je m’é­tais bien juré de ne jamais ten­ter la ran­don­née de 600Km. J’ai finale­ment ter­miné le 400Km en très bonne forme physique. Pas de douleur mus­cu­laire, pas de mal de genoux. À ce moment là je n’é­tais plus aus­si cer­tain de ne jamais vouloir ten­ter ce 600Km. Main­tenant que j’écris ces lignes je suis con­va­in­cu que je ten­terai un jour de faire ce 600Km.