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Qu’est‐ce que le Paris‐Brest‐Paris ?
Le Paris‐Brest‐Paris (PBP) est une épreuve cyclotouriste de 1200 kilomètres à réaliser en moins de 90 heures et qui a lieu tous les 4 ans. La première édition de cette épreuve remonte à 1891, ce qui en fait la plus vieille épreuve cyclotouriste au monde. Elle n’a alors lieu qu’à tous les 10 ans jusqu’en 1941 où cette édition fut remise à 1948 à cause de la guerre. De 1951 à 1971 cette épreuve se tient à tous les 5 ans puis par la suite à tous les 4 ans. Cette épreuve est réservée aux cyclistes amateurs et est donc interdite aux cyclistes professionnels.
Comme son nom l’indique, le départ se fait dans la région de Paris, à Saint Quentin en Yvelines plus précisément, pour se rendre à Brest puis revenir au point de départ en empruntant pratiquement le même parcours qu’à l’aller.
Le parcours du PBP ne comporte pas de difficultés particulières, très peu de côtes « casse pattes » et aucun col à franchir, mais est par contre constitué de petites côtes pas très pentues (200 à 500 mètres de longueur avec 4 à 5% d’inclinaison pour la plupart) qui se succèdent sans relâche et qui, misent bout à bout, totalisent un dénivelé de 10000 mètres.
Qui sont ces fous du vélo ?
Pour pouvoir participer au PBP tous les participants doivent, dans l’année du PBP, réussir une série de longues randonnées appelées “brevets” organisés par l’un des nombreux clubs de Randonneurs que l’on retrouve maintenant dans plus de 25 pays à travers le monde. Pour se qualifier au PBP chaque participant doit avoir effectué les brevets de 200, 300, 400 et 600km
Malgré de tels prérequis qualificatifs, 4069 cyclistes provenant de 21 nations différentes ont pris le départ du PBP 2003 et de ceux‐ci près de 600 abandonneront.
Je me présente ?
Je me nomme Jean Robert, j’ai 43 ans et demeure dans la région de Montréal au Québec (Canada). L’on me surnomme “la machine”. Ce surnom peut paraître prétentieux mais je me défends bien de me l’avoir attribué moi‐même, c’est plutôt ma femme qui a pris l’habitude de m’appeler ainsi à cause de la grande différence d’endurance physique qu’il y a entre elle et moi. Il est vrai que comparé à elle mon endurance à vélo, ou toute autre épreuve d’endurance, est remarquable mais lorsque je me compare à certaines personnes avec qui je fais du vélo, je semble fonctionner à la vapeur. Vous verrez d’ailleurs dans le présent récit que cette machine peut parfois se dérégler.
En 2003, année de ce PBP, j’ai 6000 km dans les jambes lorsque je prends l’avion pour Paris. Cette année j’ai fait 5 randonnées de 200Km, 3 de 300Km, 2 de 400Km et une de 600Km, je suis donc assez confiant de pouvoir terminer ce PBP.
L’équipe et le plan de match
Pour le PBP 2003, Carole Santerre , Claude Berriet , Jean‐François Gouhier et moi‐même, tous membre du Club Vélo Randonneurs de Montréal (CVRM), décidons de rouler le plus longtemps possible ensemble durant cette épreuve. Olivier, un ami de Jean‐Francois (J‑F) et qui habite la région parisienne, se joindra également à nous.
Carole, Claude et moi avons fait plusieurs brevets ensemble et n’avons aucun problème à rouler en peloton, par contre nous n’avons roulé qu’une seule fois avec J‑F et il semblait avoir de la difficulté à rouler en peloton. Nous n’avons également jamais roulé avec Olivier, qui vient de la région Parisienne, alors il n’est vraiment pas certain que nous pourrons former un peloton compact où tous les membres pourraient s’entraider mutuellement.
Durant la randonnée nous tenterons de suivre un horaire préparé par Jean‐Francois (J‑F) dont l’objectif est de terminer ce PBP en 72 heures mais pour la plupart d’entre nous l’important n’est pas d’obtenir le meilleur temps mais bien de terminer ce PBP.
Nous espérons pouvoir partir dans le premier groupe de 90 heures à 22h00, rouler 500 Km la première journée pour arriver à Plounevez‐Quintin vers 23h30 où la tante de J‑F nous hébergera, dormir 5 heures pour faire 380 Km la seconde journée et atteindre Sens de Bretagne vers 00h30, où une chambre préalablement réservée nous attend, et y dormir 5 heures. Il suffira alors de terminer les derniers 345 km qui reste.
Le récit
Carole est très nerveuse. On s’était tous donné rendez‐vous à 21h00 à quelques pâtés de maisons du point de départ du PBP afin de partir au départ de 22h00 mais il est maintenant 21h45 et il manque toujours J‑F et Olivier. Les départs sont donnés tous les 15 minutes à partir de 22h00 jusqu’à 22h45 mais Carole espérait vraiment partir le plus tôt possible pour ne pas se retrouver isolée au cas ou elle devrait lâcher notre petit peloton. Carole n’est pas la seule à être nerveuse , Virgil , qui est également membre du CVRM, a décidé de partir avec nous et l’est également mais pour une autre raison , il y a tellement de cyclistes au départ qu’il craint un accrochage dans les premiers kilomètres. Claude et moi sommes très calmes et tentons de les rassurer.
La nuit est magnifique, la température de 20°C est très confortable et il n’y a ni vent ni nuage à l’horizon. Ce n’est pas surprenant puisqu’une grande partie de la France est aux prises avec une sécheresse qui dure maintenant depuis plusieurs semaines. Les chances qu’il pleuve dans les prochains jours sont minimes et il ne pleuvra effectivement pas. Il y a deux semaines la France était également aux prises avec des températures de près de 40°C à l’ombre qui ont causé près de 10,000 décès et n’auraient pas manqué de causer de nombreux abandons parmi les participants si cette canicule avait sévi durant cette épreuve.
J‑F et Olivier arrivent finalement vers 22h00 et nous expliquent qu’il leur a été très difficile d’atteindre le stationnement qui leur était réservé à cause des différentes routes fermées pour l’événement. Bon ce n’est pas grave il y a des départs à toutes les 15 minutes alors on partira à 22h15 ou 22h30 au plus tard. Olivier s’aperçoit alors qu’il a oublié quelques papiers dans l’automobile et part les chercher. Finalement nous prendons le départ de 22h45. On passe tous notre carte magnétique dans le lecteur prévu à cet effet afin d’enregistrer officiellement notre heure de départ et faisons étamper notre carnet de route par un officiel, rituel qui se répétera 16 fois au cours de notre randonnée (si tout va bien).
Plusieurs centaines de cyclistes attendent impatiemment le signal du départ de 22h45. Certains sont nerveux mais la plupart semblent très calme. Le signal de départ se fait finalement entendre et nous sommes immédiatement entrainé par le flot de cyclistes. Dès le départ notre petit groupe se disperse mais nos maillots des Randonneurs Canada, rouge et blanc, sont très faciles à repérer de loin malgré la noirceur et permettra sans problème de nous regrouper quelques kilomètres plus loin.
Les petites routes de départ laissent rapidement place à des routes à double voie. Il y a des cyclistes partout mais ils roulent à bonne distance les uns des autres et même Virgil semble plutôt à l’aise parmi tous ces cyclistes. Je m’accroche à lui dans l’espoir de pouvoir suivre son rythme quelque temps mais après quelques kilomètres je m’aperçois que mon cyclomètre indique continuellement 0 km/h. Du doigt je pousse l’émetteur accroché à la fourche de mon vélo afin de l’approcher de l’aimant accroché aux rayons mais il touche celui‐ci et un gros TOC retentit à chaque tour de roue. J’arrête sur le bord de la route pour replacer l’aimant et regarde si je peux faire fonctionner le cyclomètre mais c’est peine perdue, c’est certainement la batterie du récepteur qui est trop faible. Ca commence bien ! L’idée de passer la première nuit sans cyclomètre ne m’enchante guère mais des flèches réfléchissantes sont supposées nous indiquer le chemin tout le long du parcours et de toute façon pour cette nuit une myriade de petites lucioles rouges m’indiqueront très bien le chemin.
Je repars et file à près de 35 km/h afin de rattrapper mes amis. Sur le bord de la route les gens nous encouragent et j’entends même l’un d’eux me crier « He, il te reste encore 1200 kilomètres à faire ». Malgré ma bonne allure ça me prend un bon 30 minutes pour les rejoindre.
Les larges routes laissent rapidement place à de petites routes de campagne où la circulation est maintenant à double sens. Après une vingtaine de kilomètres de gros pelotons commencent à se former. Lorsqu’ils nous dépassent nous nous accrochons à eux mais Carole ne peut soutenir la cadence et décroche rapidement. Nous abandonnons alors ce peloton et la même manoeuvre se répète au prochain peloton. On roulera ainsi de façon plutôt désordonnée pendant les premiers 150 kilomètres ce qui demandera certainement beaucoup d’efforts à Carole.
La chaussée est très belle surtout si on la compare à celle du Québec. Les seules sections de route où la chaussée laisse à désirer sont rencontrées lors de la traversée des petits villages. Les routes sont alors parsemées de trous, peu profonds mais plutôt inconfortables pour un cycliste, et y rencontrons quelque fois également de courtes sections formées de pavés (genre de grosses briques) dans quelques villages. Nous ralentissons un peu lors de la traversée de ces villages et ceci nous permet d’admirer la beauté de ces pittoresques villages.
Le jour se lève et vers 8:00h Carole et Claude commencent à sentir le sommeil les gagner. Carole décide de rouler un peu moins vite. Le reste du groupe décidons de garder le rythme puisque des amis de J‑F nous attendent une vingtaine de kilomètres plus loin à « La Hutte » et nous sommes déjà en retard. Ils sont effectivement au rendez‐vous avec café, croissants et chocolatines, un régal.
Nous avions prévu 10 à 15 minutes de repos ici mais Carole n’arrivera que 30 minutes plus tard. Carole s’endormait tellement qu’elle risquait de s’endormir en roulant alors elle a tenté de dormir un peu sur le bord de la route mais sans y parvenir. Elle mange un peu et tente une seconde fois de dormir mais ne trouve pas le sommeil et insiste pour que nous partions sans elle.
On part donc sans Carole. Très rapidement je m’aperçois que notre petit groupe ne fonctionne pas très bien en peloton. Olivier n’est pas à l’aise près d’une autre roue alors il se tient à 100 mètres à l’avant ou à l’arrière de nous. J‑F qui est maintenant le plus lent du groupe semble avoir décidé de rouler à 26 km/h exactement de telle sorte que si je me mets devant lui à 27 km/h il ne fait aucun effort pour coller à ma roue. Claude tente également de tirer J‑F sans succès et décide finalement de demeurer continuellement derrière lui afin d’économiser ses forces au maximum.
Étant le plus fort du groupe je trouve la vitesse un peu trop lente pour moi et suis très décu de ne pouvoir apporter une aide quelconque au groupe. Même Olivier refuse mon aide, nous sommes pourtant de force très similaire. Je me résigne donc à rouler à l’écart du groupe et comme je m’arrête fréquemment, pour arroser l’herbe qui en a fort besoin, je peux me délier les jambes en les rejoignant.
Le premier contrôle est au kilomètre 223 à Villaines La Juhel et on y arrive vers 9h45. On mange un peu et nous rendons au contrôle suivant situé à Fougères au kilomètre 311. En débarquant de mon vélo je m’aperçois que la tige stabilisatrice de mon porte‐bagages a cédé. J’essaie de trouver une pièce de remplacement à l’atelier de réparation mais sans succès. Je fixe le tout du mieux que je peux avec un « tie‐wrap » mais je ne peux empêcher le porte‐bagages de frapper la machoire de freins à chaque petite bosse et ceci me causera de sérieuses inquiétudes surtout un peu plus loin lors des descentes en montagne où les routes sont de moins bonne qualité.
Chaque point de contrôle semble avoir un petit souvenir commémoratif de leur ville à nous offrir (épinglette, stylo,.). À Fougères ils nous offrent d’envoyer gratuitement une carte postale représentant leur ville chez tous les participants qui le désirent. Je remplis donc la carte postale avec un petit mot pour ma femme et mes enfants et la leur remets. Je recevrai celle‐ci moi‐même 4 jours après mon retour chez moi.
J’aperçois alors Yvon Dionne, l’un des 8 Québécois à participer à ce PBP, qui me dit que c’est plutôt difficile pour lui jusqu’à maintenant à cause des vallons qui se succèdent sans relâche. Il abandonnera effectivement 240 kilomètres plus loin.
De mon côté ça va plutôt bien malgré ce genou droit qui me fait de plus en plus mal. Lors des ascensions je ressens maintenant une douleur aigue au côté droit du genou, j’essaie donc de pousser le plus possible avec l’autre jambe mais le mal persiste et commence à m’inquiéter. Plus tard je changerai totalement de technique et me forcerai à appliquer une pression continuelle avec la jambe droite durant toute la rotation de la jambe, donc en poussant et tirant sur les pédales, et je ressentirai graduellement une nette amélioration (ne me demandez pas pourquoi). Coté énergie par contre tout va très bien puisque je roule très souvent en deçà de ma vitesse normale de croisière.
L’on repart et vers 18h00 nous atteignons le prochain contrôle au kilomètre 366 à Tinténiac. Claude a de la difficulté à garder les yeux ouverts et en profite pour se coucher sur l’herbe en compagnie de quelques centaines d’autres cyclistes et dort 45 minutes. On se renseigne pour voir où en sont Carole et Virgil. Nous apprenons avec surprise que Carole a abandonné à Fougères. Pour Virgil par contre tout semble bien aller puisqu’il a maintenant 3 heures d’avance sur nous.
Au moment de repartir nous avons près de 2 heures 30 minutes de retard sur notre horaire initial. Notre vitesse respecte assez bien les prévisions de J‑F mais les arrêts prévus de 15 minutes aux différents points de contrôle se sont pratiquement tous transformés en arrêt de 30 minutes et plus. Il est maintenant certain que nous n’arriverons pas chez la tante de J‑F à l’heure convenue et J‑F lui téléphone pour la prévenir de notre retard.
Je décide de manger quelque chose et reprends la route vers 19h30, direction Loudéac, avec une quinzaine de minutes de retard sur mes compagnons. Sur le chemin je rencontre Leroy Varga un résident du New Jersey âgé de 76 ans avec qui j’ai eu le plaisir et l’honneur de rouler pendant notre brevet de 600Km. Leroy est l’un des plus vieux participants de ce PBP et en est à son troisième PBP. Il espère bien terminer celui‐ci. Les quelques fois où je le croise, j’en profite pour jaser un peu avec lui et il semble en très grande forme. J’apprendrai plus tard, avec surprise, que Loudéac fut son dernier contrôle dû à un mal de genou qui a persisté malgré une longue nuit de repos.
Je rattrape finalement mes amis quelques kilomètres avant d’arriver à Loudéac (km 452). Il nous reste 50 kilomètres à parcourir avant d’atteindre la résidence de la tante de J‑F et cette portion du parcours est l’une des parties la plus difficile du parcours. La nuit tombe et nous apercevons les premiers participants sur le chemin du retour. Claude doit s’arrêter sur le bord de la route pour fermer les yeux quelques minutes. J‑F décide alors de continuer seul afin de rejoindre sa tante le plus tôt possible. Je commence à ressentir les effets de 500 km de vélo et 36 heures sans sommeil. Les côtes sont de plus en plus pentues et me semblent interminables, sans compter que la chaussée est plutôt mauvaise ici.
Jusqu’à maintenant je ne suis pas impressionné par le panorama qui s’offre à nous, celui‐ci étant très similaire à ce que l’on retrouve au Québec, mais par contre je suis fortement impressionné par l’atmosphère incroyable qui y règne. Dans pratiquement tous les villages on y retrouve à toute heure de la nuit des gens qui nous encouragent sur le bord de la route, qui nous offrent café, gâteaux, galettes, on nous remplit même notre gourde d’eau avec de l’eau de source et tout cela gratuitement. Je vois même par 2 occasions un enfant d’une dizaine d’années, seul devant l’entrée de sa maison, nous crier des « allez, allez, allez » malgré qu’il est près de minuit. Je ne sais pas si c’est la fatigue mais je trouve ça très émouvant de voir à quelle point les gens admirent les cyclistes dans ce vieux pays. Je ne peux m’empêcher de penser à l’énorme contraste existant avec d’autres pays comme les États‐Unis où l’automobile est reine sur la très grande partie de son territoire.
Claude, Olivier et moi atteignons finalement le premier point de contrôle secret tenu dans une grande salle où plusieurs personnes dorment à même le sol. Claude veux dormir ici. Je le convaincs finalement que ce serait une erreur de sa part n’étant plus qu’à une vingtaine de kilomètres de la tante de J‑F et que dans moins d’une heure il pourra prendre une douche chaude, manger et dormir dans un bon lit.
Après une dizaine de kilomètres de côtes je descends une côte abrupte de près de 2 kilomètres de longueur qui m’amène à un petit village appelé Corlay. Dans le village je m’aperçois que Claude et Olivier ne sont plus derrière moi, je les attends donc près d’un petit parc. Quelques cyclistes sont couchés sur le sol enveloppés dans un sac de survie argenté, probablement des personnes qui voulaient rejoindre le prochain point de contrôle mais qui se sont fait piéger par la difficulté de ce bout de parcours.
Malgré qu’il est 1 heure du matin et que je me trouve à près de 500 kilomètres du point de départ il passe encore quelques cyclistes pratiquement à chaque minute. Il fait plutôt sombre et je surveille particulièrement les cyclistes qui roulent en paire. Après 20 minutes d’attente je n’ai toujours pas vu mes deux copains. Avec Claude toujours sur le point de s’endormir sur son vélo je crains le pire alors malgré ma fatigue je décide de remonter cette dernière pente mais ne les trouve nulle part. Finalement j’abandonne et repars en direction de la tante de J‑F.
Sur le bord de la route j’aperçois des cyclistes un peu partout couchés dans des sacs de survie. La température ne doit pas dépasser les 10°C, Virgil me dira quelques jours plus tard qu’il a vu cette même nuit vers 5 heures du matin des plantes recouvertes de frimas à certains endroits. Il a également aperçu un cycliste revenant de Brest qui n’était habillé que d’un simple cuissard et d’un maillot de vélo à manches courtes, il roulait sans tenir son guidon pour se frictionner les bras et souffler dans ses mains pour se réchauffer.
J’arrive finalement à destination vers 2h30, tous mes amis sont déjà arrivés depuis longtemps. Ils ont déjà pris leur douche et sont maintenant en train de manger. Je me douche et me mets à table. La tante de J‑F trouve mon accent très étrange et a de la difficulté à saisir ce que je lui dis au départ, à cause de mon accent à la Céline Dion comme elle dit, mais se fait rapidement l’oreille et jasons de choses et d’autres. Charmante dame.
Lorsque je me mets au lit vers 3h00 mes copains dorment déjà à poings fermés. Je n’ai aucune idée de l’heure à laquelle ils veulent se lever. Théoriquement nous devrions nous lever vers 5h00 pour reprendre le temps perdu. Mes jambes me font mal et je me demande si ce mal sera parti lorsque je me réveillerai. Je ferme les yeux et m’endors rapidement.
J’ouvre les yeux à 6h35. Plus aucune douleur aux jambes, fantastique. Mes copains dorment encore. Je réveille J‑F qui me dit qu’Olivier devait les réveiller vers 5h00. On se lève et l’on mange rapidement.
Avec notre retard sur l’horaire initial, il sera très difficile d’atteindre notre second lieu d’hébergement à une heure raisonnable. Étant plus rapide qu’eux je crois pouvoir y arriver si je roule à mon rythme et les informe que je désire partir seul. J’ai également toujours mon problème avec mon porte bagage et mon cyclomètre et ne désire pas les retarder avec mes nombreuses expéditions aux ateliers de réparations des points de contrôle.
Je pars donc seul et 30 kilomètres plus loin rejoins le point de contrôle de Carhaix (km 529) à 8h30. Je repars aussitôt et après la traversée du Roc Trevezel, où l’on atteint le point le plus élevé du parcours (350 m) après une montée d’environ 10km, je me rends jusqu’à Sizun où j’aperçois Suzanne, l’épouse de Claude, qui m’offre quelques tartines à la confiture de fraises, un délice.
J’atteins finalement la limite extrême du parcours, Brest (km 613), vers 12h15 et suis maintenant sur le chemin du retour. Je traverse Brest et une vingtaine de kilomètres plus loin ressens une douleur juste en haut du talon droit. Cette douleur est persistante et il m’est impossible de me mettre debout lors des montées. Ça ressemble à un début de tendinite et je sais que ce problème est l’une des principales causes d’abandon des PBP. Je décide alors de n’utiliser que mon autre jambe. Ma vitesse s’en trouve immédiatement réduite mais je continue à dépasser la majorité des cyclistes que je croise. Je mets fréquemment de l’eau sur mon bas pour créer un peu de fraîcheur à mon tendon.
Une trentaine de kilomètres plus loin, lors de la montée du Roc Trevezel, je m’aperçois que pour la première fois depuis le départ de Paris je ne parviens plus à suivre le flot de cyclistes. Il fait très chaud, je me sens très fatigué et mon tendon me fait de plus en plus mal. Finalement je décide de faire une pause de 30 minutes. Lorsque je repars mon tendon me fait beaucoup moins mal.
Je rejoins Carhaix (km 696) vers 17h00. Je prends une bonne heure pour me reposer et au moment de repartir j’aperçois J‑F et Claude qui arrivent. Je les informe de mon problème de tendon et que je n’ai toujours pas réussi à faire réparer mon porte‐bagages ni trouvé de batterie pour mon cyclomètre. Claude se rappelle alors qu’il en a peut‐être une quelque part dans ses bagages et après quelques recherches la déniche finalement.
Je repars vers 18h et à ma grande surprise la douleur semble avoir disparue. Je décide tout de même d’utiliser ma jambe droite le moins possible. Je rejoins ainsi Loudéac (km 773) vers 21h00. Une chambre m’était réservée à Sens De Bretagne (km 883) mais il me sera désormais impossible d’y arriver avant 3 heures du matin alors je prends la décision de dormir au prochain contrôle, à Tinténiac, 20 kilomètres avant d’atteindre Sens De Bretagne.
La nuit tombe. Vers 1 heure du matin les cyclistes sont de plus en plus rare. Il m’arrive maintenant fréquemment de ne pas apercevoir la lumière rouge d’un cycliste à l’avant pendant une quinzaine de minutes. Le ciel est étoilé et je me dirige presque constamment en direction de la planète Mars qui est très brillante puisqu’elle ne s’est jamais approchée aussi près de la terre depuis des milliers d’années (probablement pour regarder le PBP de plus près). À part cette petite lumière céleste je me fie aux flèches placées par les organisateurs de l’événement pour m’indiquer le chemin à suivre. Les flèches sont très mal conçues puisque la tige de la flèche est rouge et très visible mais par contre la pointe est de couleur blanche et n’est visible que lorsqu’on l’éclaire directement de face. Comme les flèches sont souvent placées en angle je dois souvent ralentir pour découvrir de quel coté tourner. J’en vois justement une à l’avant, pas moyen de la rater celle‐là et elle est située à l’intersection d’une petite rue et m’indique de virer à droite. J’y vais mais après quelques kilomètres, et 2 intersections sans flèche, il est évident que je ne suis plus sur le bon chemin. Je retourne sur mes pas jusqu’à la flèche fautive. En éclairant un peu plus loin sur la route principale je vois plusieurs flèches à la prochaine intersection. J’arrache donc la flèche fautive et la couche sur le sol pour éviter aux prochains cyclistes de se faire piéger comme moi.
J’arrive à Tinténiac (km 860) vers 2h40 et ils ont un lit disponible seulement à 3h00. J’en profite pour aller voir l’atelier de réparation et ils remplaceront la barre stabilisatrice de mon porte‐bagages pendant la nuit.
Je pars de Tinténiac vers 7h00. Si tout va bien aujourd’hui j’espère parcourir les derniers 365 kilomètres sans dormir et rallier l’arrivée vers 2 heures du matin. Deux heures à peine après mon départ je ressens la même douleur qu’hier mais cette fois‐ci la douleur provient du tendon de ma jambe gauche. À partir de cet instant je n’utiliserai plus que ma jambe droite jusqu’à l’arrivée et par miracle elle tiendra le coup.
À quelques kilomètres de Fougères, une descente abrupte se présente. La vitesse maximale affichée par mon cyclomètre indique 57 km/h et décide de tenter de l’améliorer. J’atteins finalement 58,1 km/h quand tout à coup le guidon de mon vélo se met à vibrer de gauche à droite de façon incontrôlable. Je suis convaincu que je vais perdre le contrôle et m’écraser au sol. Je réussis malgré tout à appliquer les freins mais le guidon ne cessera de vibrer que lorsque le vélo sera complètement arrêté. J’ai eu la peur de ma vie.
Je repars très lentement et constate que le vélo se met à vibrer dès que je dépasse les 35 km/h. J’entre à Fougère (km 914), vers 10h15 où un vélociste essaie de trouver la cause de ce problème. La fourche n’est pas fêlée, le cadre non plus. Il resserre pratiquement tous les boulons de mon vélo, resserre tous les rayons de ma roue avant et fixe également mon sac arrière très solidement suspectant qu’il pourrait être la cause de cette vibration. Rien n’y fait, les vibrations persistent et le vélociste se dit incapable de régler le problème. Je me résigne donc à me rendre à l’arrivée sans dépasser les 35 km/h. En plus de n’utiliser qu’une jambe lors des ascensions me voilà maintenant condamné à freiner en descente, heureusement qu’il ne reste que 300 km.
Je repars en direction de Vilaines. J’ai toujours un début de tendinite à la jambe gauche mais j’ai trouvé une façon de pédaler qui me permet d’utiliser quelque peu cette jambe. Je n’ai qu’à pointer mon pied vers l’avant et ceci élimine toute tension sur mon tendon. Je peu donc utiliser celle‐ci (sans toutefois exagérer). J’arrive à Vilaines (km 1002) vers 15h15 puis continue en direction du prochain contrôle, Mortagne, situé 82 kilomètres plus loin.
Peu après le départ un groupe d’une dizaine d’Italiens me dépasse, je m’y accroche et fait un bon bout de chemin avec eux. C’est la première fois depuis le début de ce PBP que je réussis à m’accrocher à un groupe et que je me sens à l’aise. La plupart des autres groupes roulaient un peu trop lentement pour moi et en plus les cyclistes en tête du peloton semblent tous s’être passé le mot pour se laisser aller en descente, plutôt que de continuer à pédaler en appliquant une légère pression sur les pédales pour combattre la résistance du vent, forçant tout le reste du peloton à freiner derrière eux ce que je trouve insupportable à la longue. Contrairement aux autres pelotons ce groupe est tiré par une seule personne qui semble lire dans mes pensées tant il contrôle bien les montées et les descentes du peloton. En montée il diminue le rythme de façon parfaite et en descente je ne touche jamais mes freins ni mes pédales, c’est incroyable. Le seul autre moment de ce PBP où j’ai ressenti cette sensation de parfait synchronisme en descente était lorsque je me suis accroché à un tandem, par contre en montée leur rythme descendait tellement que je les poussais avec ma main.
À mi‐chemin vers Mortagne la douleur de ma tendinite semble s’être accentuée et je suis également très fatigué. Je me résigne à laisser partir ce merveilleux groupe et fais une pause de 45 minutes couché dans l’herbe haute sur le bord de la route. Ha ! ce qu’on est bien couché parfois. Je repars et lorsque je rentre dans la ville de Mortagne (km 1084) vers 20h30, je ne ressens plus de douleur à mon tendon depuis quelques kilomètres. Par mesure de précaution je consulte l’infirmerie qui me fait un massage des 2 tendons et des deux jambes. Je sors de l’infirmerie une heure plus tard et me rend à la cafétéria où j’y rencontre mes 3 copains. Ils prévoient dormir à un hôtel situé à une quarantaine de kilomètres. Ils m’invitent d’y passer également la nuit mais j’espère toujours rallier l’arrivée sans dormir. Si le massage a fonctionné je crois sincèrement être en mesure de le faire.
À 22h30 nous enfourchons tous les quatre notre vélo mais au premier tour de manivelle une vive douleur me ramène à la triste réalité. Le massage semble avoir empiré les choses. Il m’est tout à fait impossible de continuer pour le moment tant la douleur est aiguë. Je me résigne à laisser partir mes amis et me trouve une place au dortoir. Je décide de prendre 5 heures de sommeil afin de laisser à mon corps une chance de se régénérer. À ce moment j’entrevoie la possibilité de devoir abandonner à seulement 140 kilomètres de l’arrivée. Si je me lève avec la même douleur au tendon j’abandonnerai c’est certain.
Je me réveille à 3h30 et je me sens très bien. J’enfourche mon vélo et à ma grande surprise mon tendon va beaucoup mieux. Je n’avance pas très vite et pratiquement tous les cyclistes me dépassent. J’essaie parfois de suivre un groupe qui me dépasse ou suivre l’une des rares personnes que je rejoins mais je n’y trouve pas mon rythme et les abandonnent très rapidement. Une trentaine de kilomètres avant d’arriver au contrôle je suis rejoins par mes trois amis et me laisse tirer par eux. Depuis le début de ce PBP je les trouvais un peu lents mais maintenant que j’utilise une seule jambe je ne pourrais espérer une vitesse de croisière plus confortable. Je suis bien content de les avoir.
C’est plutôt froid cette nuit et c’est très humide dû au brouillard. Malgré que je suis très bien habillé je ressens le froid traverser mes vêtements lorsque l’on descend dans de petits creux où le mercure descend certainement près du point de congélation. On m’avait dit que la température pouvait être froide la nuit mais je n’aurais jamais cru qu’il ferait aussi froid. Je suis convaincu que s’il avait plu cette dernière nuit c’aurait été l’hécatombe.
Nous atteignons l’avant dernier point de contrôle à Nogent le Roi (km 1168) vers 7h15 et repartons pour joindre l’arrivée après un bon petit déjeuner. Suivre mes amis a permis à mon tendon de récupérer et quelques kilomètres avant l’arrivée je me permets même de monter quelques côtes pentues debout à bonne allure.
Nous terminons finalement cette belle aventure à 10h46 après 84 heures de route. Virgil a pour sa part bouclé le trajet en 69 heures 38 minutes.
Au départ de cette épreuve mon objectif premier était de terminer mon premier Paris‐Brest‐Paris mais je dois vous avouer que j’aurais bien aimé le terminer en moins de 80 heures. Évidemment si j’étais parti en solo , si je n’avais pas eu de problèmes avec mon vélo, si je n’avais pas eu de problèmes de tendon, si, si, si. Parlez‐en à ceux qui ont déjà participé à cette épreuve et pratiquement tous vous énuméreront une multitude de problèmes qui ont ralenti leur progression à un moment ou un autre. C’est autour de tous ces “si” qu’au fil du temps s’est forgé l’aura mythique qui entoure maintenant ce prestigieux événement.
Le dicton ne dit‐il pas qu’avec des “si” on va à Paris ? Eh bien moi je vous dirai que c’est chargé de “si” que l’on revient d’un Paris‐Brest‐Paris et que ce sont eux qui en font une expérience que l’on se souviendra avec nostalgie toute notre vie.
Jean (la machine)