Mon premier Paris-Brest-Paris, par Loïc Angot

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Jour 1 : Ram­bouil­let — Loudéac 435 km, total 435 km

5h du matin, le 21 août 2023, un ani­ma­teur bien plus réveil­lé que moi annonce le décompte final, je pars dans moins de 15 min­utes pour 1224 km ! L’esprit embrumé par une nuit trop courte passée sur un lit de camp, j’ai bien du mal à réalis­er que je suis présent au départ de cette vingtième édi­tion de Paris-Brest-Paris. Il y a 11 mois à peine, en roulant avec Mar­tin sur la piste du petit train du Nord, j’évoquais ma pos­si­ble par­tic­i­pa­tion, sans trop y croire. Le départ est don­né, et je n’ai qu’une chose en tête, ne pas tomber dans le traf­fic mati­nal. Nous sommes 234 dans la vague X (la 24 ‑ème), et cela roule vite pour sor­tir de Ram­bouil­let, l’euphorie du départ est pal­pa­ble. Après quelques heures, le jour se lève, nous emprun­tons de belles routes à tra­vers champs, et je com­mence à réalis­er que mon pre­mier « PBP » com­mence.

PBP c’est par­ti.

Après quelques heures de pédalage, je retrou­ve quelques copains du CVRQ, Marc, Mar­tin, David et Sébas­t­ian. Nous roulerons ensem­ble qua­si­ment toute la journée, sous un beau soleil. Les schtroumpfs du Québec, avec leurs tenues bleues, tirent même plus sou­vent qu’autrement des groupes de cyclo, mais gare à ne pas trop en met­tre, la route est encore longue. A Tin­té­ni­ac (354 km), je retrou­ve mon frère et sa famille, qui m’ont gen­ti­ment apporté plein de belles choses à manger, que je dévore rapi­de­ment. L’ambiance est superbe à Tin­té­ni­ac, une vraie fête de vil­lage en ce début de soirée, le tout dans une odeur de galette saucisse.    

Com­ment ça se lit déjà ce car­net ? Donc là, je suis dans les temps, mais je ne suis pas sûr…, si je roule ça va le faire !

J’ai prévu de dormir à Loudéac, il me reste 81km et la nuit est tombée. Je retrou­ve Sébas­t­ian avec qui je roule un peu. Plusieurs descentes rapi­des se trou­vent sur le par­cours, et avec l’absence de sig­nal­i­sa­tion, il faut rester pru­dent pour ne pas louper un virage et ter­min­er dans le décor ; d’autant plus que mon expéri­ence de nuit est encore lim­itée. Vers 1h du matin, je com­mence à être bien fatigué, quand je tombe sur un camp­ing-car qui sert du café sur le bord de la route. Café et gâteaux engloutis, me voilà repar­ti, un grand mer­ci à ces incon­nus, ils m’ont bien aidé à ter­min­er la pre­mière journée. Arrivée à 1h49 à Loudéac, pointage de la carte, repas rapi­de et au lit… de camp.

Jour 2 : Loudéac-Loudéac 347km, total 782km

5h et des pous­sières, un bénév­ole vient me réveiller dans le gym­nase qui doit compter 300 couchages env­i­ron, j’ai dor­mi comme une pierre. Après 45s d’hésitation « pourquoi suis-je la déjà ? ça serait vrai­ment chou­ette de rester dormir. », je suis con­va­in­cu que les choses sérieuses com­men­cent. Je repars seul, et les pre­mières heures de vélo ne sont pas agréables. Il faut remet­tre la machine en route, et j’ai froid. Aus­si, je vois une bande de cyc­los qui me dépasse à bonne allure dans une côte, leur aisance n’aide pas mon moral. Je com­prendrais plus tard qu’ils n’ont pas de bagages, avec prob­a­ble­ment 6 kg de moins à train­er le mérite est moins grand. J’aurais le plaisir de les redou­bler plus tard sur le plat, le lende­main.

Je m’arrête à la buvette-repas d’un joli vil­lage, un homme déguisé en Astérix me sers un café et des vien­nois­eries, me voilà repar­ti avec un meilleur état d’esprit. A la sor­tie du vil­lage, je retrou­ve Marc du CVRQ, et Jun­gAh du club de cyclo de l’Ontario, je vais rouler avec eux toute la journée. Ces deux com­pères ont déjà plusieurs PBP à leur act­if et nous roulons dans le même rythme, sous un soleil de plomb. La journée sera mar­quée par un fort dénivelé. Natif du cen­tre manche (qui est plat), et habi­tant la région de Mon­tréal (qui est plate aus­si), j’ai ten­dance à croire que tout est plat y com­pris le cen­tre Bre­tagne, quelle erreur ! Les côtes à fort pour­cent­age s’enchaînent mais je ne m’énerve pas, j’ai de bonnes jambes aujourd’hui, et je ne tape pas out­re mesure dans mes réserves. Nous rat­trapons déjà des par­tants des vagues du dimanche, qui ne sont pas encore arrivés à Brest.

L’approche de Brest n’est pas très agréable, on a l’impression de tourn­er autour sans jamais arriv­er. Cette impres­sion sera con­fir­mée par des par­tic­i­pants des édi­tions précé­dentes, l’approche a changé cette année. Arrivé au point de con­trôle un chanteur bre­ton nous accueille c’est émou­vant, une moitié de faite ! Nous repar­tons rapi­de­ment car l’offre de nour­ri­t­ure n’est pas top, petite pho­to sur le pont de Brest et direc­tion Loudéac. Après avoir tourné à Brest et aperçu la mer, c’est un boost réel pour le moral, nous suiv­ons désor­mais les pan­car­tes direc­tion « Paris ».

Soleil de plomb sur le pont de Brest, réservé aux pié­tons et cyc­los

Nous prof­i­tons de la générosité des bre­tons qui nous offrent de l’eau dans les côtes, par cette chaleur c’est très appré­cié. La nuit tombe déjà et celle-ci dévoile le vrai vis­age de PBP, nous croi­sons de nom­breux cyc­los arrêtés dans les fos­sés pour dormir, de trop nom­breux par­tic­i­pants com­men­cent à être épuisés. Pour les par­tants des vagues du dimanche après-midi, c’est déjà leur troisième nuit à vélo, et cer­tains sont dan­gereux, la vig­i­lance est de mise lors des dépasse­ments. La route de nuit se passe bien et nous arrivons à Loudéac à 3h47. Nous con­venons avec Marc et Jun­gAh de repar­tir ensem­ble après un peu de som­meil.

Je vais rapi­de­ment réserv­er mon couchage et m’offre le luxe d’une douche bien méritée après presque 800 km. Je cherche tant bien que mal une prise pour branch­er ma bat­terie, 3 mul­ti­pris­es pour 300 couchages, on repassera pour l’organisation… Je trou­ve une prise, et pars me couch­er pour un gros 2,5 h de som­meil.

Le tableau des couchages à Loudéac

Jour 3 : Loudéac – Vil­laines-la-Juhel 236km, total 1018km

Bien réveil­lé de nou­veau par un bénév­ole, je m’aperçois en repar­tant du dor­toir que ma bat­terie n’a pas chargé de la nuit ! Aus­si, mon GPS a per­du mys­térieuse­ment sa charge durant la nuit. Mon GPS fait briève­ment con­nais­sance avec le comp­toir en bois (tap, tap, tap), des bénév­oles me dis­ent de me calmer. Je reprends mes esprits et fini par me con­va­in­cre que je n’ai pas besoin de GPS ou de télé­phone pour ter­min­er PBP en beauté. Je m’aperçois que Marc et Jun­gAh sont déjà par­tis, j’ai per­du du temps et repars seul. Après un bon deux heures de pédalage à bonne allure, je retrou­ve Olivi­er en chemin, qui revient de loin après son coup de chaud de la pre­mière journée. Nous roulons à bon train ensem­ble, le soleil se lève et c’est très agréable. J’arrive à Tin­té­ni­ac, où mon frère m’a atten­du plus de trois heures ! Nous dévorons avec Olivi­er ce qu’il nous a apporté, nous sommes un peu oxy­dés par le kilo­mé­trage, et c’est une longue pause que nous faisons (env­i­ron 45’).

Deux schtroumpfs du Québec con­tents de manger à l’ombre

Rem­plis­sage de bidons d’eau et crème solaire appliquée, nous repar­tons sous un soleil de plomb, ça roule bien avec un groupe d’une quin­zaine de cyc­los dont qua­tre autrichiens qui tirent le groupe. J’ai tou­jours de bonnes jambes et j’essaie de m’incruster pour être devant. Ils ne me lais­sent pas vrai­ment pass­er et préfèrent rester entre eux, qu’à cela ne tienne, je me cale à l’arrière du groupe. Dans les côtes, j’arrive à remon­tr­er le groupe sans trop forcer ce qui est bien plaisant, je com­mence à me dire que j’ai une super forme. Nous retrou­vons Marc et Jun­gAh un peu plus tard, et roulons ensem­ble. Dans une longue ligne droite, je croise un vis­age fam­i­li­er, c’est Samuel, un copain du col­lège qui est venu à ma ren­con­tre. Nous roulons ensem­ble pen­dant un bon 60 km, cela doit faire plus de vingt ans que nous nous sommes vus, alors les sujets de dis­cus­sions ne man­quent pas !

60 km d’asphalte avec Samuel

Je quitte Samuel et arrive en vitesse à Fougères qui est située dans une cuvette. Nous pour­suiv­ons notre route et atteignons Vil­laines-la-Juhel vers 22h, le vil­lage d’étape le plus impres­sion­nant de PBP, où nous arrivons par la rue cen­trale assez étroite qui sert de sta­tion­nement géant pour des cen­taines de vélos. D’une part de la rue, on trou­ve un mag­nifique parc avec de grands arbres, et d’autre part une école publique avec une grande cours, qui rassem­ble le dor­toir et le restau­rant. L’ambiance est superbe, on se rap­proche de la fin. Après un bon repas, Marc et Jun­gAh déci­dent de pour­suiv­re leur route et je reste avec Olivi­er pour faire une sieste de 1h30, dans une salle de classe !

Jour 4 : Vil­laines-la-Juhel — Ram­bouil­let 206km, total 1224km

« It is alarm clock » prononce le plus grand des qua­tre lutins venant nous réveiller, c’est l’heure de repar­tir. Après avoir passé la nuit dernière avec ma lampe de sec­ours, qui éclaire peu, je me sou­viens que j’ai une lampe frontale que j’essaie tant bien que mal d’attacher à mon guidon. C’est Olivi­er qui trou­ve finale­ment un moyen effi­cace pour l’attacher, je lui fais remar­quer qu’il a oublié sa veste de vis­i­bil­ité. Il part la chercher. Après quelques min­utes, ne le voy­ant pas arriv­er, je vais à sa ren­con­tre, il ne se sou­ve­nait plus où était le dor­toir. On trou­ve sa veste et par­tons. Ce matin-là nous avions un cerveau pour deux ! Il reste 206 km pour rejoin­dre Ram­bouil­let, cette pen­sée me réjouis. 

C’est une nuit mag­nifique pour rouler, il fait chaud, peu de vent et les routes sont belles. J’apprécie de plus en plus rouler la nuit. En revanche, nous pas­sons sou­vent dans des petits vil­lages pas tou­jours éclairés, à la recherche des pan­car­tes « Paris ». Je fais remar­quer à un français qu’il n’a plus d’éclairage arrière, il nous a suivi dans une longue série de descentes. Il nous racon­te que sa lampe arrière est en train de charg­er, je lui passe ma lampe de sec­ours. Je pen­sais qu’on roulerait avec lui, je ne le rever­rais plus et ma lampe avec. Ce n’est pas bien grave et tant mieux s’il a pu rouler en sécu­rité. Nous nous arrê­tons pour un café organ­isé par un musée du vélo, l’ambiance est con­viviale mais nous ne train­ons pas les pieds.

Arrivés à Mortagne au Perche à 4h50, j’aperçois le vélo de Marc, qui est prob­a­ble­ment en train de dormir. Je repars avec Olivi­er, plus que 125 km, ça sent la coupe ! Nous retrou­vons un peu plus loin David, et ses amis des ran­don­neurs de San Fran­cis­co, avec un impor­tant groupe de cyc­los. J’ai tou­jours de très bonnes jambes et décide finale­ment de tout don­ner pour le final. Je pars dans une côte et décide de ne plus ralen­tir. Je roule seul et rat­trape de nom­breux cyc­los qui ter­mi­nent avec une autre approche. Je rejoins un groupe mené par qua­tre sué­dois bâtis comme des camions. Nous roulons à vive allure, je suis jaloux de leurs aero bars mais arrive à les suiv­re, et passe devant plusieurs fois. Alors que la pluie com­mence à tomber, et que plusieurs cyc­los du groupe s’arrêtent pour met­tre leur veste de pluie, les qua­tre sué­dois main­ti­en­nent le rythme, cela me fait plaisir. J’arrive à Dreux à 9h, dernier con­trôle avant Ram­bouil­let.

Il me reste 47 km à par­courir !

J’y suis presque. Je décide de main­tenir un bon rythme. Pour valid­er PBP, je devais arriv­er avant 17h15 à Ram­bouil­let, je suis très bien au niveau du temps, alors je décide de me rajouter un nou­v­el objec­tif, ter­min­er sous les 78h. Je suis rejoins par Fred du club CVRQ, qui m’aide à pouss­er la machine dans ces derniers kilo­mètres. Nous roulons à bonne allure, pour un final mag­ique vers Ram­bouil­let. La pluie a cessé, et nous arrivons dans les alen­tours arborés de Ram­bouil­let. On s’encourage avec Fred pour pouss­er encore et rat­trap­er des cyc­los, que nous dou­blons par dizaines. C’est une pre­mière pour moi de ter­min­er une si longue dis­tance à vive allure. Je passe un grand por­tail de pierre, c’est l’entrée du château, plus que quelques mètres.

La piste est en gravier et il y a de plus en plus de spec­ta­teurs jusqu’à pass­er la ligne d’arrivée. Ça y est, c’est fait, une bulle d’émotions éclate en moi, le sen­ti­ment d’accomplissement mêlé à la fatigue, la joie, est dif­fi­cile­ment descriptible. Kathia qui a ter­miné plus tôt vient me saluer et je suis inca­pable de lui par­ler, cela me pren­dra une bonne heure pour émerg­er. Je ter­mine en 77h36 soit plus de 6h de mieux que mon objec­tif, tout en ayant le sen­ti­ment d’avoir prof­ité de l’expérience tout le long du par­cours, ce qui était impor­tant pour moi.

Clap de fin sur une for­mi­da­ble expéri­ence. Paris-Brest-Paris est bien plus qu’une longue ran­don­née à vélo, c’est une immense fête col­lec­tive où cha­cun peut y trou­ver sa place, petits et grands, cyc­los et bénév­oles.

Pho­to du pub­lic, crédit pho­to Pierre Morel

Au moment d’écrire ces lignes, il est trop tôt pour savoir si je renou­vellerai l’expérience PBP en 2027. Ce qui est cer­tain, c’est qu’il y aura un avant et un après PBP, et que mon envie de me dépass­er à vélo ne fait que com­mencer.  

Loïc