PBP 2011 par Jean Robert

Publié le

Le hasard fait bien les choses

(par Jean Robert)Plaque 5578


J’ai longtemps hésité avant d’écrire ce réc­it. En 2003 j’ai fait le Paris-Brest-Paris (PBP) et en ai fait le réc­it en essayant de vous décrire l’am­biance par­ti­c­ulière que l’on retrou­ve dans cet évène­ment sans pareil dans le monde. Pour ce réc­it je ne voulais par redire les mêmes choses, je voulais en faire un qui élim­in­erait cet aspect. Je me suis longtemps demandé si ce que j’ai vécu, les ren­con­tres que j’y ai faites, l’ex­péri­ence que j’en ai tirée, intéresserait quelqu’un. Finale­ment après deux mois de réflex­ion sans réponse j’ai décidé de l’écrire. Vous me direz si vous aimez en envoy­ant un email à cette adresse Jean­Robert {à} Videotron.ca.


Comme en 2003 j’ai une cham­bre à l’hô­tel “Pavil­lon des Gatines”, à 10 Km du départ. Je la partage avec Mar­tin Dugré un bon ami de tra­vail avec qui je fais beau­coup de vélo. Nous arrivons en France le 18 Août. Comme nous nous sommes inscrits dans le départ de 90 heures nous par­tirons le 21 Août entre 18h et 20h. Dix autres mem­bres du Club Vélo Ran­don­neurs de Mon­tréal (CVRM) seront de ce périple de 1230 Km com­por­tant 10,000 mètres de mon­tée. Plus de 5000 cyclistes par­ticiper­ont à cet événe­ment.

Le jour du départ je décide de par­tir de l’hô­tel vers 15h30 pour rejoin­dre le lieu du départ afin de voir s’élancer les pre­miers cyclistes prévu pour 16h00. Avant de par­tir de l’hô­tel je mets un peu d’air dans mon pneu arrière puis en faisant la même chose pour mon pneu avant le pneu arrière éclate. Je répare le tout avec une nou­velle cham­bre à air. Ce n’est pas très grave, il m’en reste deux et les routes sont très belles en France. Ceci nous fait per­dre un peu de temps. Mar­tin et moi arrivons un peu après 16h00. Heureuse­ment, pour nous, le départ a été repoussé de 20 min­utes à cause d’un véhicule sur la route alors nous voyons les pre­miers cyclistes s’élancer et prenons quelques pho­tos. Le hasard fait bien les choses par­fois.

Nous nous met­tons à la fin de la file d’at­tente pour les départs entre 18:00 et 20:00 qui se don­nent à tous les quinze min­utes par groupe d’en­v­i­ron 500 cyclistes. Mar­tin me passe sa pompe avec indi­ca­teur de pres­sion pour que j’a­juste la pres­sion de mes pneus mais en dévis­sant sa pompe de ma valve j’ar­rache celle-ci. Je répare le tout mais il ne me reste qu’une seule cham­bre à air pour faire les 1200 km et je ne suis vrai­ment pas con­fort­able avec ça. Je décide donc de quit­ter la file d’at­tente pour aller chercher quelques cham­bres à air au kiosque à l’ar­rière du Gym­nase des droits de l’homme. Mar­tin décide de rester dans la file d’at­tente ce qui s’avér­era une très grosse erreur de sa part puisqu’il restera en plein soleil durant 3 heures par une tem­péra­ture de près de 30 degrés, pra­tique­ment sans eau et en ayant pris pour toute nour­ri­t­ure qu’un déje­uner vers 10h00. Pas l’idéal pour entre­pren­dre une telle aven­ture. D’ailleurs il arrivera au pre­mier rav­i­taille­ment (km 140) telle­ment déshy­draté qu’il en per­dra con­nais­sance. L’in­fir­mi­er lui con­seillera d’a­ban­don­ner mais mal­gré tout il repren­dra la route et ter­min­era ce PBP en 87 heures.

Vers 17h00, ayant trois nou­velles cham­bres à air et ayant prof­ité du kiosque de mécanique pour ajuster la pres­sion de mes pneus, je décide de ne pas réin­té­gr­er la file d’at­tente. Il fait beau­coup trop chaud et surtout je ne me vois pas par­tir avec mon seul déje­uner dans l’estom­ac. J’en prof­ite donc pour aller manger et boire au kiosque près du départ. Tout en mangeant je ren­con­tre plusieurs per­son­nes dont Frédéric, René et Benoît du CVRM mais égale­ment une autre per­son­ne que j’e­spérais ren­con­tr­er appelé Mark Beaver, mem­bre du Nova Sco­tia Ran­don­neurs, dont j’avais remar­qué en 2003, sur le site de l’Au­dax, qu’il était arrivé à peu près en même temps que moi à tous les con­trôles. Je ne l’avais jamais vu mais le hasard l’a fait s’as­soir juste à côté de moi. Le hasard fait bien les choses par­fois. Je me dis­ais que ce serait bien de rouler un bout ensem­ble pour voir si nous roulions tou­jours au même rythme. Mal­heureuse­ment je le perdrai de vue dès le départ et ne le rever­rai plus.

Je réin­tè­gre la file d’at­tente vers 19h30. Je suis bien con­tent de par­tir loin der­rière Mar­tin parce qu’il est venu avec son ancien vélo qui pèse une tonne et je sais qu’il n’au­rait pas pu me suiv­re. Ça me donne donc un lapin à rat­trap­er. Je pars dans le dernier groupe des 90 heures à 20h00 avec quelque 500 autres cyclistes. Dès le départ, en roulant à une vitesse de croisière très con­fort­able, je dépasse pra­tique­ment tout le monde. Après une trentaine de min­utes quelle n’est pas ma sur­prise d’en­ten­dre un fort “Jean” pour me retourn­er et voir Mar­tin. Il me dit qu’il est par­ti dans la même vague que moi et que pen­dant les 3 heures d’at­tente il n’a pra­tique­ment rien bu ni mangé. Je remer­cie le ciel de m’avoir fait faire ces deux crevaisons avant le départ. Le hasard fait bien les choses par­fois (ne l’ai-je pas déjà dit?).

Con­traire­ment au PBP de 2003 je roulerai beau­coup plus sou­vent en groupe ou avec quelqu’un cette fois-ci. Comme cette sec­tion du par­cours com­porte très peu de côtes je rat­trape un groupe, roule un cer­tain temps avec eux puis les lais­sent pour rejoin­dre le prochain groupe un peu plus loin et recom­mence le même manège. Lorsque je rat­trape un groupe je roule un peu moins rapi­de­ment qui si je roulais seul, soit aux alen­tours de 28–30Km/h, mais puisque l’on me coupe le vent je dépense beau­coup moins d’én­ergie. Lorsque je me sens reposé je repars à mon rythme pour rejoin­dre le prochain groupe. Je roule ain­si jusqu’au pre­mier point de rav­i­taille­ment à Mortagne-au-Perche au kilo­mètre 140 où je fais un arrêt d’une quin­zaine de min­utes.

Je repars et rat­trape quelques groupes de la même manière jusqu’au moment où passe un quatuor espag­nol qui roule aux alen­tours de 33–34Km/h. Je décide de m’ac­crocher à eux. Je les suis sans peine sur le plat, je peux même me repos­er un peu, mais dans les mon­tées je dois pouss­er un peu plus sur les pédales pour m’y accrocher. Je cal­cule que ça en vaut la peine puisqu’à cette vitesse on dépasse beau­coup de groupes. On voit que ces qua­tre cyclistes roulent depuis longtemps ensem­ble. Ils pren­nent des relais à tous les 200 mètres env­i­ron. J’es­saie quelques fois de pren­dre un relais mais ils ralen­tis­sent comme si j’é­tais un dan­ger pour eux alors je décide rapi­de­ment de rester à l’ar­rière. Ils roulent telle­ment bien et sem­blent telle­ment à l’aise que je fais tout pour que les quelques per­son­nes qui s’ac­crochent à nous restent der­rière moi. Pas pour être directe­ment der­rière eux mais pour ne pas que les nou­veaux pren­nent des relais et nuisent à leur par­fait syn­chro­nisme. Je leur lais­sais tou­jours assez de place pour qu’ils réin­tè­grent facile­ment leur posi­tion en avant de moi. Ça peut paraître étrange mais je suis con­va­in­cu qu’ils m’en étaient recon­nais­sants. Quelques-uns ont tout de même essayé de pren­dre un relai mais jamais ils n’ont réus­si, les espag­nols les lais­sant rapi­de­ment pren­dre de l’a­vance et les rat­tra­pant la plu­part du temps un peu plus loin.

Nous roulons ain­si pen­dant une quar­an­taine de kilo­mètres jusqu’à ce que deux cyclistes russ­es nous dépassent à la vitesse d’en­v­i­ron 35–38Km/h. Les espag­nols déci­dent de s’ac­crocher à eux et je fais de même. Sur le plat ça va très bien mais à chaque petite bosse ça me prend tout mon petit change pour m’ac­crocher à eux. Quelques fois ils me décrochent mais je réus­si tou­jours à les rat­trap­er. Heureuse­ment que ce n’est pas très val­lon­né à cet endroit. Je ferai les prochains 30 km avec eux jusqu’au moment où les deux loco­mo­tives russ­es font un arrêt éclair pour se rav­i­tailler en eau sur le bord de la route et que je décide de faire de même. Mal­heureuse­ment, le temps de rem­plir mon Camel­Back et ils sont déjà repar­tis. Finale­ment c’est peut-être mieux ain­si parce que con­tin­uer à rouler à ce rythme n’est vrai­ment pas raisonnable. Je roule donc rel­a­tive­ment en soli­taire jusqu’au prochain con­trôle, Vil­laines-La-Juhel (km 222), où j’ar­rive à 4h28.

Ici je prends une quar­an­taine de min­utes pour bien m’al­i­menter à la cafétéria. Durant tout le Paris-Brest-Paris je ne mangerai que très peu en roulant soit au total, gros comme le poing de fruits et noix séchés, une barre ten­dre ain­si qu’une pâtis­serie et quelques bon­bons que m’of­frira un restau­ra­teur à Loudéac. Côté bois­son énergé­tique c’est presque le néant. Au départ de ce PBP j’ai acheté 1 litre de jus d’o­r­ange, 750ml est allé dans ma pre­mière gourde (la réserve), et l’autre 250ml dans la sec­onde gourde com­plété par de l’eau. Avec cette réserve je peux me faire trois autres gour­des de jus dilué. Cette réserve me dur­era 1000 kilo­mètres. Les derniers 200Km se fer­ont avec une gourde de Gatorade. Je dois donc très bien m’al­i­menter à tous les con­trôles.

À env­i­ron 30Km du prochain con­trôle, direc­tion Fougère (km 310), en quit­tant un groupe une per­son­ne s’ac­croche à moi pour la pre­mière fois depuis le départ. C’est un russe très sym­pa­thique qui se nomme Anton Shcherbakov (plaque #5277). Il ne par­le pas français et très peu l’anglais mais nous réus­sis­sons tout de même à com­mu­ni­quer. Il a un prob­lème avec ses vitesses et a décidé de laiss­er ses amis pour attein­dre le prochain con­trôle le plus rapi­de­ment pos­si­ble dans l’e­spoir de faire répar­er le prob­lème au con­trôle et pou­voir repar­tir avec ses amis. Au début il reste der­rière moi mais après une dizaine de km nous faisons des relais à chaque kilo­mètre. Dix km plus loin il se sent fatigué alors je lui dis de rester der­rière moi. Ces russ­es sont vrai­ment durs avec leur corps. Après les deux loco­mo­tives de tan­tôt Anton est le troisième russe que je vois et je sens qu’il en arrache dans les côtes à cause de son poids mais il s’ac­croche tout de même avec acharne­ment. Vrai­ment impres­sion­nant et inspi­rant. Vingt kilo­mètres plus loin nous arrivons à Fougère. Il est 9h00 et sommes cer­taine­ment arrivés un bon 15 min­utes avant ses amis et il m’en est très recon­nais­sant.

Petite pho­to, une bon dîn­er et je repars une cinquan­taine de min­utes plus tard en direc­tion de Tin­té­ni­ac (km 364) que je rejoins vers 12h30 puis me dirige vers Loudéac (km 450).

Lorsque je roule j’aime bien entamer la con­ver­sa­tion avec les cyclistes que je croise. J’en prof­ite pour leur deman­der à quelle heure ils sont par­tis ce qui me donne une idée de la vitesse de ma pro­gres­sion. La plu­part sont très sym­pa­thiques mais j’ai remar­qué que les Alle­mands sem­blent faire excep­tion (en tout cas les quelques uns que j’ai ren­con­trés). Très peu par­lent français ou anglais et lorsque je les abor­de avec un “Bon­jour par­lez-vous français?” ou “Hi, do you speak Eng­lish?” ils ont l’air de se deman­der qu’est-ce que je leur veux et même ceux qui par­lent un peu anglais ne sem­blent pas intéressés à me par­ler alors je n’in­siste pas. Les Japon­ais eux aus­si sont étranges, lorsque vous leur adressez la parole pour la pre­mière fois ils vous ignorent comme s’ils n’avaient pas enten­du. Il m’en faut pas mal plus que ça pour me décourager alors j’in­siste un peu et là dès que l’on réus­si à échang­er quelques phras­es ils devi­en­nent les per­son­nes les plus sym­pa­thiques que je con­naisse. C’est ain­si que je ren­con­tre Eiji Tom­i­na­ga (plaque #4807). Après avoir cassé la glace et jasé une dizaine de min­utes je passe devant lui très douce­ment dans l’e­spoir qu’il s’ac­croche à moi mais il ralen­tit aus­sitôt pour se plac­er à une ving­taine de mètres der­rière moi. Bon ça à l’air qu’il veut rouler seul alors j’ac­célère un peu mais quelques km plus loin il est tou­jours à 20 mètres der­rière moi. Ain­si, autre par­tic­u­lar­ité des Japon­ais, si vous ne les invitez pas à rester dans votre sil­lage ils ralen­tiront automa­tique­ment pour se laiss­er décrocher et rouleront à 20 mètres der­rière vous. Après quelques km je lui dis qu’il est le bien­venu s’il veut s’ac­crocher à moi. À par­tir de ce moment nous for­merons un superbe duo, prenant l’un après l’autre des relais, à tel point qu’il rat­trapera, et larguera, beau­coup de ses amis qui l’avaient dis­tancé aupar­a­vant. Nous rejoignons le pre­mier con­trôle secret et prenons mutuelle­ment une pho­to de l’autre.

Nous reprenons rapi­de­ment la route vers Loudéac. À une ving­taine de km du con­trôle il me dira être trop fatigué pour pren­dre ses relais et j’in­sis­terai pour qu’il reste der­rière moi jusqu’au con­trôle que nous rejoignons vers 17h00. Eiji m’in­forme qu’il va dormir ici et me demande mon adresse email. Il m’en­ver­ra effec­tive­ment quelques pho­tos qu’il a pris­es de moi. Vrai­ment sym­pa­thique.

Après un bon repos je repars vers le prochain point de rav­i­taille­ment, St-Nico­las-du-Pélem (km 493) à une cinquan­taine de km. C’est la pre­mière fois qu’il y a pos­si­bil­ité de dormir dans ce vil­lage et l’on m’a dit qu’il était bien équipé. Il est pos­si­ble que je m’y arrête pour la nuit. Les côtes sont de plus en plus abruptes et se suc­cè­dent les unes après les autres mais je me sens encore assez bien. Je suis dans un groupe depuis un cer­tain temps. Un Japon­ais nous rejoint et intè­gre le groupe. Il est très fort dans les mon­tées et dépasse tout le monde pour arriv­er loin devant les autres au som­met. Par con­tre dans les descentes et sur le plat il ne sem­ble pas très rapi­de et se fait con­tin­uelle­ment rat­trap­er par le groupe. Après quelques km de ce manège je décide de le suiv­re dans les mon­tées, comme je suis un très bon rouleur et descend très rapi­de­ment je me dis que nous pour­rions faire un très bon duo. Je m’ac­croche donc à lui dans une longue mon­tée et arrive en même temps que lui au som­met. Je prends le relais dans la descente mais il ne s’ac­croche pas à moi. Je refais la même ten­ta­tive plusieurs fois mais sans suc­cès. Est-ce que les Japon­ais seraient tous faits du même moule. J’es­saie donc de lui par­ler et il sem­ble sur­pris que je lui adresse la parole mais après quelques phras­es il devient tout à coup très sym­pa­thique. Donc il sem­ble bien que ce soit le cas. Il s’ap­pelle Iwao Yamamo­to (plaque #1557), Yama pour les intimes, et je l’in­vite à me suiv­re dans les descentes. Wow, quel duo nous fer­ont à par­tir de ce moment. Des mon­tées en puis­sance avec Yama qui me tracte jusqu’en haut puis je prends le relais dans les descentes pour rejoin­dre la prochaine côte à vitesse grand V. Pas besoin de vous dire que l’on a per­du le groupe de vue assez vite. Nous rat­trapons même Anton qui m’avais cer­taine­ment devancé à cause de mes longues paus­es aux con­trôles. Nous roulons une dizaines de kilo­mètres tous les trois mais le rythme de Yama est trop élevé pour Anton qui nous invite à con­tin­uer sans lui.

Les habi­tants de St-Nico­las-du-Pélem sont très sym­pa­thiques. Ils ont organ­isé une sorte de petite fête avec musique et danse folk­lorique. Je pen­sais peut-être dormir ici mais j’ai peur que tout ce bruit ne nuise à mon som­meil.

Après une ving­taine de min­utes de repos je repars avec Yama pour rejoin­dre le prochain con­trôle, Carhaix-Plouguer (km 526), qui n’est qu’à une trentaine de km. Nous y arrivons à 21h34 et je me sens pas mal fatigué. De plus mon estom­ac se plaint de tous ces efforts. Nous man­geons ensem­ble. J’hésite encore entre dormir ici ou pouss­er jusqu’à Brest. En sor­tant dehors je regarde les nuages et informe Yama que je vais dormir ici à cause de la pluie qui s’en vient. Il sem­ble sur­pris que je sois capa­ble de prédire la pluie en regar­dant les nuages. Je lui explique qu’en regar­dant la couleur des nuages et le sens du vent c’est assez facile à voir que le beau temps est der­rière nous et que ce qui s’en vient n’est pas très beau. Avec la fatigue accu­mulée depuis 526 km je n’ai aucune envie de me retrou­ver sous la pluie par une tem­péra­ture de 12–13 degrés, surtout que la prochaine sec­tion jusqu’à Brest com­porte 93 km et n’est pas de tout repos.

On se dit au revoir et je me dirige vers le dor­toir. Ça me prend un bon 20 min­utes pour trou­ver ce fameux dor­toir. De plus nous devons faire la queue dehors pen­dant près de 30 min­utes pour nous inscrire, heureuse­ment qu’il ne pleut pas. Après m’être inscrit pour me faire réveiller dans 3 heures je prends une douche puis me dirige vers ma couchette. Heureuse­ment que j’ai mes bouche oreilles parce qu’il doit y avoir 200 couchettes l’une à coté des autres avec un va-et-vient con­tin­uel. Je m’en­dors rapi­de­ment et me réveille moi-même 1 heure 30 plus tard. Lorsque je sors dehors tout est mouil­lé mais il ne pleut plus. On me dit qu’il y a eu un très gros orage. Je me félicite de mon choix. À date je suis cer­taine­ment l’un des priv­ilégiés à ne pas s’être fait mouil­lé depuis le départ. Toutes les fois qu’il a plu j’é­tais en train de me repos­er dans un con­trôle. Le hasard fait bien les choses par­fois.

Mon estom­ac n’est tou­jours pas en par­fait état. Je me force tout de même à manger quelque chose à la cafétéria et repars pour Brest (km 611). Mal­gré ce repos de 5 heures je ne me sens pas en très grande forme et n’ai d’autre choix que d’y aller à mon rythme si je veux récupér­er. Cette por­tion mon­tag­neuse est très brumeuse et l’on ne voit pas à plus de 30 mètres. De plus, avec l’eau qui s’ac­cu­mule sur les ver­res de mes lunettes je ne vois pas grand chose et les lumières rouges des cyclistes qui me précè­dent m’a­gressent à la longue. Rouler en groupe est pra­tique­ment impos­si­ble, aus­si bien en prof­iter pour rouler lente­ment et récupér­er au max­i­mum.

Après une soix­an­taine de km je me sens beau­coup mieux et quel n’est pas ma sur­prise de voir pass­er Yama. Il me dit que lorsqu’il est repar­ti de Carhaix-Plouguer il a pris la mau­vaise direc­tion en se dirigeant vers Paris plutôt que Brest. Il s’est ral­longé de 60Km. Il s’est égale­ment fait pren­dre par l’or­age. Comme il est inscrit dans le groupe de 80 heures il com­mence main­tenant à man­quer de temps. Yama et moi faisons les derniers km pour se ren­dre à Brest à toute allure puisant dans mes réserves et dans mon orgueil pour les derniers km. Je sais que c’est ridicule mais mau­dit que ça fait de bons sou­venirs.

À Brest Yama repart aus­sitôt mais moi je prends mon temps afin de repren­dre des forces. J’y resterai plus d’une heure. J’y ren­con­tre Jacques Gal­lant, un autre gars du Québec, au kiosque de répa­ra­tion. Il a des prob­lèmes avec son boîti­er de pédalier. Ils n’ont pas la pièce pour répar­er mais on lui a dit qu’au prochain con­trôle il a de bonnes chances de la trou­ver. Comme il a ter­miné son PBP en 82 heures il a cer­taine­ment pu faire répar­er son pédalier quelque part mais ce con­tretemps le fera arriv­er hors-délais puisqu’il s’é­tait inscrit dans le groupe de 80h. Je vois égale­ment Franz Neuert qui attend l’ar­rivée de sa femme Eleonore Turn­er qui est égale­ment mem­bre du CVRM (Club Vélo Ran­don­neurs de Mon­tréal). Lui n’a pas pu y par­ticiper à cause de prob­lèmes de san­té mais Eleonore fait un très bon temps jusqu’à main­tenant. Mal­heureuse­ment elle devra aban­don­ner après avoir fait plus de 1000Km à cause d’un prob­lème mus­cu­laire au niveau du cou qui la rend inca­pable de sup­port­er le poids de sa tête. Prob­lème assez com­mun ici.

Je mange à la cafétéria, comme à tous les con­trôles, mais à chaque fois c’est pra­tique­ment tou­jours le même menu avec les mêmes desserts, les mêmes breuvages, et l’ap­pétit s’en ressent. Il y a trois ou qua­tre plats prin­ci­paux mais on a vite fait le tour. Chose frus­trante ils offraient tou­jours des frites et pra­tique­ment jamais de purée con­traire­ment au PBP 2003. Qui peut bien manger des frites dans une si longue ran­don­née? Autre frus­tra­tion, insignifi­ante celle-là, ils ont du Coke et de l’o­rang­i­na mais pas de Sev­en Up. Comme j’ai déjà du jus d’o­r­ange dans mes gour­des je prends un Coke à chaque con­trôle depuis le début et je sus­pecte mon estom­ac de ne pas appréci­er. Sur le bout d’une table je pose ma tête sur mes avant-bras et réus­si à faire une petit somme de quelques min­utes. C’est la pre­mière fois de ma vie que j’y parviens et ça fait du bien.

Je prends le chemin du retour direc­tion Carhaix (km 704). Après 60Km l’én­ergie ni est plus et un mal de genou qui me gène depuis quelques cen­taines de km me con­va­inc de pren­dre un repos dans une crêperie (j’en avais le goût depuis un bon bout de temps de toute façon). Je prends une crêpe au fro­ment. C’est assez spé­cial avec les rebor­ds croustil­lants de la crêpe qui remon­tent et forme un genre de bol. Je com­mande égale­ment un choco­lat chaud. En y buvant je m’aperçois que c’est plein de grumeaux. Je demande au pro­prié­taire si c’est nor­mal et il m’ex­plique que la crème de leur lait, prob­a­ble­ment non homogénéisé, forme rapi­de­ment une croûte sur de dessus lorsqu’il est au repos. Il m’as­sure que c’est très bon alors je le bois sans prob­lème.

Au moment de repren­dre la route je regarde la hau­teur de la selle et vois qu’elle a descen­du de quelques mil­limètres. J’a­juste le tout et n’au­rai plus jamais mal au genou. Sen­tant un léger point de pres­sion venant de ma selle Brooks depuis quelque temps j’a­juste la ten­sion de celle-ci ce qui réglera égale­ment ce prob­lème.

J’ar­rive à Carhaix (km 704) vers 13h30. Je sais que la par­tie la plus dif­fi­cile du par­cours est main­tenant der­rière moi et ça m’en­cour­age. J’y reste une quar­an­taine de min­utes et réus­si à faire une petit somme d’une dizaine de min­utes sur le bout d’une table. Ça fait vrai­ment du bien.

Le prochain con­trôle est à Loudéac (km 783). En entrant dans la ville je vois un restau­rant appelé “Rôtis­serie Loudéac”. L’estom­ac va pas mal mieux et me dit qu’un bon poulet va me faire du bien. Finale­ment ils ne ser­vent pas de poulet. Je prends l’une des seules choses qu’ils ont en démon­stra­tion dans la vit­rine du comp­toir. Une tourte. Le pro­prio m’en sert une bonne pointe. C’est hyper gras, épaisse croûte feuil­letée sur lequel repose une couche de lar­dons sur­mon­tée d’un mélange d’oeuf et crème le tout grat­inée d’une bonne couche de fro­mage. Près de 2000 calo­ries mais c’est suc­cu­lent. Je ter­mine avec une tarte au lait, pour faire un peu plus san­té, et un choco­lat chaud. J’é­tais le seul dans le resto alors les deux pro­prios (un homme et sa soeur) ont dis­cuté con­tin­uelle­ment avec moi durant le repas qui a duré près d’une heure 30. Ils m’ex­pliquent même com­ment faire une tourte. Hyper sym­pa­thiques tous les deux. En par­tant le pro­prié­taire me donne un chaus­son aux pommes et une poignée de bon­bons faits dans la région de son beau-frère sur le bord de la côte. Je ne me rap­pelle mal­heureuse­ment plus de quel extrait de plante ils étaient faits. Ils me seront très utiles jusqu’à l’ar­rivée lorsque l’én­ergie sera en déclin.

Je me rends au con­trôle de Loudéac en quelques coups de pédales. Régulière­ment durant le par­cours je véri­fie la posi­tion de plusieurs des 10 autres mem­bres de notre club ain­si que d’un ami que j’ai ren­con­tré à l’hô­tel appelé Ed Per­son (plaque #1977). Peu de monde le sait mais ce ser­vice est disponible à la plu­part des con­trôles qui ont inter­net. J’ap­prends ici que Uryah a aban­don­né et que la plu­part de mes amis sont loin der­rières moi. Seule­ment Frédéric et Ed sont passés ici avant moi et me sem­blent main­tenant à des années-lumière. Frédéric est passé ici plus de 6 heures trente avant moi. En fait il est arrivé au prochain con­trôle une heure avant mon arrivée ici. Ed pour sa part est arrivé ici 6 heures 10 avant moi mais a atteint le con­trôle suiv­ant 1 heure 40 avant mon arrivée ici. Avec le plus grand sérieux je dis à la femme qui me donne ces ren­seigne­ments que ce sera dif­fi­cile de les rat­trap­er. Elle me regarde d’un drôle d’air. Je lui dis que c’est une farce. Ça sem­ble la ras­sur­er sur mon état men­tal.

Je reprends la route et espère que tout le gras de la tourte passera aisé­ment. La route jusqu’au prochain con­trôle, Tin­té­ni­ac (km 868), est beau­coup moins val­lon­née et à mi-par­cours mon estom­ac va beau­coup mieux. La tourte sem­ble avoir fait des mir­a­cles. Je peux à nou­veau repren­dre un peu de vitesse. C’est à ce moment que je fais la ren­con­tre d’une per­son­ne qui affectera le restant de ma ran­don­née.

Je roule à bonne allure lorsqu’un cycliste arrive de l’ar­rière et me demande s’il peut rouler avec moi étant don­né que j’ai une bonne vitesse. Je lui réponds par l’af­fir­ma­tive évidem­ment. On fait une bonne dizaine de km ensem­ble en prenant cha­cun des relais régulière­ment. Il sem­ble très fort surtout en mon­tée. À un moment don­né je lui sig­nale que je ne veux pas soutenir ce rythme de peur que mon estom­ac ne refasse des siennes. Il me dit que le rythme est égale­ment trop rapi­de pour lui. On ralen­ti et on se met à jas­er. Il s’ap­pelle Jef­frey Weible (plaque #8251), Jeff pour les intimes, et est orig­i­naire du Mis­souri. Il est par­ti dans le groupe des 84 heures, neuf heures après moi. Wow! Je suis vrai­ment impres­sion­né. Il doit être super fort. Il m’ex­plique que son objec­tif de départ était de le finir à l’in­térieur de 58 heures pour pou­voir faire par­tie d’un club restreint au États-Unis mais qu’il n’y arrivera cer­taine­ment pas puisqu’il avait quelques dizaines de min­utes de retard sur son horaire. Je lui dis alors de rester der­rière moi sans pren­dre aucun relais et que je vais rouler à un bon rythme jusqu’à ce que je ne sois plus capa­ble, au dia­ble l’estom­ac. Ça ne dur­era peut-être que quelques kilo­mètres mais il gag­n­era peut-être ain­si quelques pré­cieuses min­utes sans se fatiguer. Il accepte avec plaisir.

Comme le ter­rain n’est pas trop val­lon­né je roule aux alen­tours de 38km/h sur le plat. Dans les mon­tées on roule l’un à côté de l’autre puis dans les descentes je reprends la tête et pousse pour attein­dre sou­vent les 55 km/h. C’est un rythme que j’es­time pou­voir main­tenir pen­dant cinq, dix et peut-être même 20 kilo­mètres si mon estom­ac tient le coup. Après une dizaine de kilo­mètres je vois qu’il sem­ble avoir de la dif­fi­culté à s’ac­crocher à moi. Je ralen­ti un peu mais dans les descentes je le dis­tance aisé­ment et doit ralen­tir le rythme. Je lui dis alors que je vais me met­tre devant lui et qu’il n’a qu’à m’indi­quer de ralen­tir si je vais trop vite. Même à 34 km/h il me dit que je roule trop vite. Que je vais le “bruler” si l’on con­tin­ue à ce rythme.

Je me mets der­rière lui pour voir quel est son rythme de croisière. Wow! Sur le plat et dans les descentes c’est une vraie tortue. Il roule env­i­ron 32km/h sur le plat et en descente il ne pédale jamais à moins que la vitesse descende en dessous de 30–32km/h. Si jamais une descente l’amène à une bonne vitesse et qu’une mon­tée suit immé­di­ate­ment cette descente il atten­dra que sa vitesse tombe sous les 30km/h avant le pre­mier coup de pédale. Il y va par con­tre d’un bon rythme dans les mon­tées, qu’il entame debout. Il m’ex­plique que pour faire un bon temps le prin­ci­pal endroit où l’on peut gag­n­er du temps est les con­trôles. Rien ne sert de rouler en fou pour arriv­er 15 min­utes plus tôt au con­trôle si l’on doit s’y repos­er 40 min­utes pour repar­tir les mus­cles endo­loris. L’idéal est d’ar­riv­er aux con­trôles en pleine forme et ne pren­dre que 10–15 min­utes pour manger et rem­plir nos gour­des. Un autre avan­tage non nég­lige­able à ne pas tourn­er les pédales dans les descentes est de repos­er nos mus­cles au max­i­mum pour être prêt à mon­ter la prochaine côte d’un bon rythme.

À par­tir de ce moment je me forcerai à rouler à son rythme. Un autre avan­tage qui j’y vois rapi­de­ment est que puisque l’on ne roule pas vite on peut rouler côte à côte et en prof­iter pour dis­cuter. Et il a de la jasette. Ça fait bien mon affaire parce que le temps passe beau­coup plus rapi­de­ment ain­si.

On arrive donc à Tin­té­ni­ac en pleine forme. Je l’imag­ine courir au poinçon, manger vite fait et repar­tir en moins de dix min­utes alors je n’ai pas beau­coup d’e­spoir de le revoir. Je me dépêche tout de même un peu et reviens à mon vélo une douzaine de min­utes plus tard. Son vélo est tou­jours là et il arrivera 5 min­utes plus tard. Il devait pren­dre un bon repas. Je suis bien con­tent de repar­tir avec lui.

À par­tir d’i­ci c’est vrai­ment le point idéal du par­cours pour met­tre à l’es­sai cette nou­velle tech­nique puisque nous avons 200 km de val­lons se suc­cé­dant sans arrêt devant nous. Je me rends compte rapi­de­ment de l’ef­fi­cac­ité de cette tech­nique. Il est vrai que plusieurs per­son­nes nous dépassent sur le plat et dans les descentes mais le rythme que nous pou­vons soutenir dans les mon­tées fait en sorte que nous dépas­sons pra­tique­ment tout le monde qui nous avaient dépassés. Et j’ai l’in­time con­vic­tion que les quelques per­son­nes que nous ne rat­trapons pas per­dront pas mal de temps au prochain con­trôle pour récupér­er.

On arrive ain­si à Fougère (km 922) à 1h22 du matin. Je n’ai qu’une heure 30 de som­meil depuis le départ et Jef­frey n’a dor­mi qu’une heure au total à Brest. Le som­meil com­mence vrai­ment à se faire sen­tir. Jef­frey a mis aux oubli­ettes son objec­tif d’ar­riv­er en 58 heures mais espère tou­jours ral­li­er l’ar­rivée en dessous des 60 heures. Il n’est pas cer­tain de pour­voir se ren­dre à l’ar­rivée sans dormir. On décide donc de dormir 20 min­utes. On trou­ve une salle près de la cui­sine où 3 ou 4 cyclistes sont couchés par terre sur des mate­las de sol de moins d’un cm d’é­pais­seur. Pas cer­tain que je vais pou­voir dormir la dessus. Comme je mets des bouch­es-oreilles je ne peux pas me réveiller par moi-même. Heureuse­ment Jeff me dit qu’il me réveillera.

Selon moi je suis main­tenant couché depuis une ving­taine de min­utes et Jeff devrait être à la veille de se lever. Je n’ai pas arrêté d’es­say­er de trou­ver une posi­tion con­fort­able pour dormir mais sans oreiller ni cou­ver­ture ce n’est pas évi­dent. J’ai roulé le bout du mate­las sur lui-même pour me faire un oreiller de for­tune mais chaque fois que je bouge la tête il se déroule un peu. Couché sur le côté se révèle très incon­fort­able pour le bras sur lequel on est couché. Je regarde ma mon­tre pour voir si l’heure de la lev­ée arrive bien­tôt. Merde, ça fait déjà une heure que l’on est couché. J’ai donc dû dormir par petits bouts. Jeff n’a prob­a­ble­ment pas enten­du son­ner sa mon­tre. Je le réveille et l’on repart en direc­tion de Vil­laines-La-Juhel (km 1010) quelques min­utes plus tard.

Toutes ces côtes qui se suiv­ent l’une après les autres sont vrai­ment dif­fi­ciles physique­ment mais c’est surtout le moral qui en prend un coup. Je ne me rap­pelais pas qu’il y en avait autant en 2003. Monte, descend, monte, descend,… C’est inter­minable. Plus on avance et plus elles sont longues. Elles ne sont pas très pentues, de l’or­dre de 5%, mais beau­coup atteignent près d’un km main­tenant ce qui demande beau­coup d’én­ergie à chaque mon­tée. Heureuse­ment que l’on se repose dans les descentes.

On atteint Vil­laines à 7h25 du matin. Il reste env­i­ron 200 km à faire jusqu’à l’ar­rivée. Je me ren­seigne où sont mes amis. Ed est arrivé ici il y a 1 heure 6 min­utes. Je cal­cule rapi­de­ment qu’il a dû pren­dre un bon repos ici. Puisque nous ne pren­drons qu’une quin­zaine de min­utes nous repren­drons la route 30 à 40 min­utes der­rière lui. Je n’y peux rien je cal­cule tou­jours tout. Pour ce qui est de Frédéric il est passé ici à 2h15 donc il a encore 5h10 d’a­vance sur moi.

On repart effec­tive­ment une quin­zaine de min­utes plus tard en direc­tion de Mortagne-au-Perche (km 1091). Monte, descend, monte, descend,… Ça n’en fini plus. Heureuse­ment que l’on a un petit vent de dos. On rejoint Ed après une soix­an­taine de km dans une longue mon­tée. Il sem­ble avoir beau­coup de dif­fi­culté. Je le dépasse telle­ment rapi­de­ment que je n’ai que le temps de lui dire “bon­jour”. Nous arrivons au con­trôle à 11h29. Ed arrivera une quin­zaine de min­utes plus tard. Il nous explique qu’il a mal jugé la dif­fi­culté du PBP et qu’il est main­tenant très fatigué.

Jeff et moi reprenons la route vers Dreux (km 1166) après une pause d’en­v­i­ron vingt min­utes. Je me rap­pelle que les val­lons se ter­mi­nent quelque part en route vers ce con­trôle. Monte, descend, monte, descend,… Ce n’est qu’après une bonne trentaine de km que ça devient subite­ment plat. Le par­cours devient même plutôt descen­dant. Le vent de dos est même un peu plus fort, prob­a­ble­ment près de 10 km/h. Mal­gré tout Jeff ne sem­ble pas accélér­er et garde tou­jours le même rythme à 32–34 km/h. Quelques pelo­tons nous dépassent à vive allure. Je sais qu’il est plus fatigué que moi alors je n’in­siste pas et le suis pen­dant une trentaine de km. Je me sens en pleine forme et ne com­prends pas pourquoi l’on roule à 32 km/h alors que l’on à un bon vent de dos et qu’il n’y a pra­tique­ment plus aucune côte d’i­ci à l’ar­rivée qui n’est plus qu’à 80 km. À la longue ça devient vrai­ment insup­port­able. Il ne reste qu’une dizaine de km avant Dreux et me résigne à le quit­ter en me jetant dans un des groupes qui nous dépasse à 45 km/h. Jeff ne fait aucun effort pour s’y join­dre.

J’ar­rive à Dreux (km 1166) à 14h58. Lorsque Jeff arrive je suis déjà attablé et en train de manger quelques pâtis­series. Je l’in­forme que je vais repar­tir le plus rapi­de­ment pos­si­ble en lui expli­quant que je crois pos­si­ble pour moi d’ar­riv­er à l’in­térieur de 70 heures. Pour ce faire je dois arriv­er avant 18h00 en par­tant vers 15h25 ça me donne 2h35 pour faire 65Km. Je sais qu’il y a de bonnes côtes dans les derniers 30 km et que les derniers 10 km sont en pleine ville mais je crois pou­voir y arriv­er. Je lui dis que comme dis­ait César, “À vain­cre sans péril, on tri­om­phe sans gloire”. Jeff me con­seille de ne pas par­tir trop rapi­de­ment et de m’ac­crocher à un pelo­ton si pos­si­ble. Con­seil que je trou­ve fort sage. Je n’ai aucune envie de poign­er une crampe dès les pre­miers km.

Je pars donc vers Saint-Quentin-en-Yve­lines (km 1230) à 15h27. Je roule effec­tive­ment lente­ment durant les pre­miers 35 km ayant trou­vé rapi­de­ment un duo d’I­tal­iens qui roulent de la même manière que Jeff mais un peu plus rapi­de­ment tout de même. Après ces 35 km per­son­ne ne nous a dépassés et je com­mence à stress­er. Je fais quelques cal­culs rapi­des. Il reste 1h30 pour faire 30Km. À ce rythme il est pos­si­ble que nous atteignions l’ar­rivée avant 18h00 mais je sais qu’il y a quelques bonnes côtes à l’a­vant et je ne sais pas com­bi­en de temps les feux rouges des derniers 10 km peu­vent nous faire per­dre. Je décide donc de laiss­er mes deux com­pagnons en leur indi­quant que je veux m’as­sur­er d’ar­riv­er avant 18h00.

À par­tir de là je me mets en mode “con­tre la mon­tre”. En ville j’étire même quelques feux jaunes de quelques sec­on­des tout en m’as­sur­ant que c’est sécu­ri­taire. Per­son­ne ne m’a dépassé dans ce dernier 30Km même pas dans les mon­tées. J’ai du dépass­er une cen­taine de cyclistes. J’ar­rive à l’ar­rivée à 17h44 pour un total de 69h43. Jeff arrivera près d’une heure après moi pour le ter­min­er en 61h40. J’ai telle­ment mal aux jambes que je ne peux descen­dre les march­es du gym­nase qu’en me ten­ant à la rampe et en descen­dant de côté mais je ne me suis jamais sen­ti aus­si bien.

Un temps sous les 70 heures ne m’a jamais effleuré l’e­sprit et n’au­rait pas été pos­si­ble sans la ren­con­tre de Jeff. Le hasard fait bien les choses par­fois. Faire un Paris-Brest-Paris en util­isant sa tech­nique me per­me­t­trait cer­taine­ment d’amélior­er mon temps de plusieurs heures j’en suis con­va­in­cu. Par con­tre je dois avouer que les meilleurs sou­venirs de ce PBP me vien­nent non pas de ces moments où je roulais con­fort­able­ment de con­trôle en con­trôle avec Jeff, quoique les dis­cus­sions avec Jeff sont de très bons sou­venirs, mais plutôt des ren­con­tres faites ici et là tout le long du tra­jet. Quand on me par­le de ce PBP je songe évidem­ment à Jeff mais égale­ment à Anton, Eiji et Yama. Yama avec qui j’ai roulé en fou, mais que de mer­veilleux sou­venirs. À cause de Yama j’ai du ralen­tir le rythme pen­dant quelques con­trôles. Ceci m’a per­mit de regarder le PBP sous un autre angle. J’ai goûté une excel­lente crêpe bre­tonne, ren­con­tré deux mer­veilleux restau­ra­teurs qui m’ont fait décou­vrir de nou­veaux plats de leur coin de pays. Est-ce que refaire un PBP j’adopterais la tech­nique de Jeff? Je ne crois pas car j’aime trop l’im­prévu qui génère pleins de rebondisse­ments qui me per­me­t­tent au fil des ans de me rem­plir la tête de toutes sortes de sou­venirs.

Chaque per­son­ne à sa pro­pre idée de la façon de faire un PBP et aucune n’est meilleur qu’une autre. Per­son­nelle­ment je crois que pour ter­min­er un Paris-Brest-Paris avec plein de sou­venirs ça prend assuré­ment un peu de hasard, qui fait si sou­vent bien les choses.

Jean La Machine (#5578)