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Ca y est ! il est 15 heures, nous sommes à quelques encablures du départ, une certaine impatience mêlée d’une petite appréhension se fait sentir. Qu’importe, nous serons bientôt dans le vif du sujet.
Il faut maintenant prendre son dernier repas avant le départ, le temps d’attente risque d’être long et pourrait déjà entamer le potentiel d’énergie. Le rendez-vous est fixé au club à 18 heures 45 pour la traditionnelle photo d’avant départ (peut-être par peur que personne ne nous reconnaisse à l’arrivée, tant nous aurons changé!).
Tout le monde est au rendez-vous : Dany, Christian, Patrick, Gérard, Joël, Gilles, Jean-Charles et moi. Echange de dernières impressions, photo prise et en route vers la ligne de départ.
Nous arrivons sur la place du gymnase des droits de l’homme vers 19 heures et déjà beaucoup ont eu la même idée de se présenter au plus tôt de façon à partir dans la première vague à 21 heures 30.
Je rencontre quelques têtes connues lors des brevets qualificatifs et l’euphorie gagne peu à peu chacun de nous, tellement la foule venue nous voir, est impressionnante; la musique, les différentes nationalités représentées, l’ambiance nous montre l’ampleur de cet événement international. Seul le ciel laisse planer une certaine inquiétude mais peu importe, nous partirons quand même.
Après trois heures d’attente, je m’arrête dans les toilettes pour un ultime pipi, adieu le départ avec la deuxième vague et au revoir les copains! je serai donc condamné à rouler seul pendant les premiers kilomètres.
Je reconnais et salue Pierre Filoche au contrôle des lumières, il me dit que les autres sont passés depuis un bon moment.
Enfin, j’arrive sur la ligne de départ derrière la Twingo; quelqu’un m’interpelle et je reconnais Laurent Cassier et Fabrice Tronçon venus m’encourager; d’ailleurs, je les remercie, cela fait toujours chaud au coeur, Fabrice me confesse alors une participation en 2011 (rendez-vous est pris, il te reste 4 ans pour te préparer!).
Nous sommes à dix secondes du départ, au moment fatidique, je me jette avec un américain dans le vif du sujet sous un déluge d’applaudissements et d’encouragements, c’est indicible, il faut le vivre pour ressentir toutes ces émotions.
Je roule juste derrière la voiture et à chaque rond point, de nouveaux des applaudissements, des cris d’encouragement, des gens me reconnaissent et scandent mon prénom.
La voiture se retire arrivée aux “Mousseaux” et je suis alors les premiers qui roulent déjà à plus de 30 km/heure.
Je dois rattraper Dany et Christian partis 20 minutes plus tôt, je me surprends même à rouler à 45km/heure entre Condé sur Vesgre et Nogent le roi, je lève me disant que je vais le payer comptant à un moment du parcours.
En haut de Nogent le roi, j’aperçois Gérard in extremis, je lui demande où sont Dany et Christian; ils sont juste devant à quelques kilomètres. Quelques minutes plus tard, ça y est, nous nous sommes enfin retrouvés, nous décidons une pause à Longny au Perche pour manger un sandwich, nous repartons jusqu’à Mortagne sans difficultés si ce n’est que quelques gouttes de pluie se font sentir mais rien de bien grave pour le moment.
Il est 4 heures 40 environ quand nous arrivons à Mortagne juste le temps de remplir les bidons, de manger une barre et de reprendre la route.
Trois kilomètres à peine parcourus et nous voilà sous un déluge de pluie, nous bâchons et repartons de plus belle avec le même enthousiasme, le moral est intact même si nous aurions préféré nous en passer.
Nous sommes vraiment dans le perche, ça monte ! je n’oublie pas de m’alimenter et de boire malgré le froid qui commence à gagner et le vent qui s’est invité à la fête. Vers 6 heures, nous sommes à Mamers et nous filons vers Vilaines la Juhel, nous avons de plus en plus froid.
Une certaine euphorie gagne Christian qui tente de s’accrocher à quelques groupettos qui nous doublent, serait-il dans une forme olympique! il me confessera plus tard que son week end montagnard à Vizille le 21 juillet lui a donné du punch et ça se voit!
Nous nous arrêtons à Fresnay sur Sarthe pour prendre un petit déjeuner bien mérité tant le froid commence à faire ses effets.
Nous repartons de plus belle 1/2 heure plus tard vers Vilaines, les belles côtes me font transpirer des jambes, tiens, bizarre, je n’ai jamais transpiré des jambes surtout par ce temps humide mais je me rappelle que nous sommes sur le Brest et des choses inattendues peuvent se produire! la preuve.
Nous attaquons une boulangerie, à la vue de la vitrine, d’autres ont eu la même idée avant nous , il ne reste plus grand chose, je me contenterai d’un pain aux raisins et surprise je retrouve un oeuf dur dans ma poche, quel bonheur devant les regards hallucinés de Dany et Christian qui me demandent si je vais arriver à le digérer. Nous reprenons la route.
Il est 9 heures environ quand nous arrivons à Vilaines la Juhel sous les applaudissements du public qui nous attend déjà; les organismes sont marqués, nous pointons, remplissons les bidons, mangons un peu et s’en perdre de temps nous filons vers Fougères.
Une certaine lassitude me gagne et je crois que c’est la faim qui commence à me travailler au corps, Dany et Christian ne semblent pas avoir brûlé autant d’énergie que moi, cela se vérifira au repas de Fougères que nous atteignons vers 12 heures 30, j’ai mangé le double de Dany ou de Christian, cela déclenchera des rires et quelques quolibets, serais-je mal réglé comme un vieux moteur qui gaspille l’énergie! qu’importe, je remplit tellement le réservoir, qu’entre Fougères et Tinténiac (55 km seulement), une lourde sensation d’assoupissement m’envahit et je comprends que toute mon énergie est accaparée pour la digestion de mon repas gargantuesque, je le savais mais l’erreur me semblait inévitable tellement l’appel du ventre était grand.
Et encore la pluie sans discontinuer pour l’arrivée à Tinténiac, il faut marcher longtemps pour atteindre le lieu de contrôle, les personnes sont toujours aussi accueillantes et soulignent notre courage, cela nous remonte un peu le moral qui est tombé bas. La fatigue entame vraiment notre potentiel autant physique que mental, et les choses vont commencer à se compliquer sérieusement, pourtant, il nous faut absolument rejoindre Loudéac ce soir mardi 21 août.
Nous décidons de nous accorder une pause et de la mettre à profit pour prendre un encas dans un troquet. Pas de mystère, nous sommes bien en pays celtique, l’autochtone boit à profusion un breuvage teinté de houblon et libéré de ses inhibitions, vient à notre rencontre nous conter ses états d’âme sur le vélo sans oublier quelques plaisanteries à notre égard, bien sûr, nous ne lui en tenons absolument pas rigueur.
Nous reprenons la route avec un groupe vers 17 heures à destination de Loudéac, 87 km environ; ça roule à vive allure, parfois, 30 km/h au compteur, un américain me dit qu’il commence à être vraiment fatigué, le soulagement est pour bientôt, mais il faut atteindre Loudéac mais que c’est difficile, déjà 400 km dans les jambes sans dormir sous la pluie et avec le vent trois quart face, ça use et le mot est faible, d’autant plus que ma tendinite au talon d’Achille gauche de mon 2é BRM 600 semble se réveiller pour couronner le tout. Tout le monde semble vivre les mêmes maux : petit signe qui ne trompe pas, plus personne ne parle, on économise la moindre énergie. Des pensées noires me traversent l’esprit : “si c’est dur comme ça jusqu’à Guyancourt, il va être difficile de terminer”; et puis je me dis, non, non et non; tu ne dois pas penser à l’arrivée, tu étais prévenu de la dureté d’une telle épreuve, ce serait l’excuse un peu facile alors un peu de méthode, de bon sens pour retrouver la niac : l’objectif est Loudéac et rien d’autre, d’autres souffrent certainement autant que toi voire même plus, ça sera certes dur jusqu’à Loudéac mais réalisable, pense simplement à bien t’alimenter et boire, au bout, il y aura une douche, un repas et une nuit réparatrice de 3 heures et je serai comme neuf quand je reprendrai la route mercredi vers 1 heure du matin et ça a fonctionné! objectif rempli à 19 heures 45. Ouhaou! et toujours sous les applaudissements du public. Je crois avec le recul que c’est à ce moment là que je me suis, pour ma part, affranchi d’aller jusqu’au bout, je venais de remporter une belle victoire sur moi-même, mon mental venait au secours de mon physique après avoir réussi à tordre le coup aux idées noires, j’avais repoussé la douleur et la fatigue.
Après ça, inutile de vous dire que mon repas est de nouveau gargentuesque (j’ai quand même un bon coup de fourchette, je dois l’avouer), la douche est la bienvenue et nous nous endormons vers 21 heures. Nous tenons à remercier les organisateurs et les bénévoles pour la qualité de l’accueil remarquable dans les contrôles et ce, toujours avec le sourire et la chaleur humaine qui les caractérisent. Encore bravo et merci.
Nous nous réveillons vers minuit trente, il y a, à ce moment là, plusieurs centaines de cyclos qui cherchent un lit mais tous sont complets, leurs visages sont marqués par l’effort, le nôtre devait l’être tout autant quelques heures auparavant, je suis admiratif devant leur détermination. Nous en voyons même dormir à même le bitume dans une couverture de survie, c’est aussi ça le PBP! Nous nous envolons de nouveau mercredi à 1 heure du matin vers Carhaix sur un rythme un peu rapide à mon goût, nous nous arrêtons 30 km plus loin sous un chapiteau improvisé par les gens du coin où il y a du café,thé, gâteau, sandwich .… Nous repartons de plus belle quand nous croisons les premiers qui redescendent de Brest avec 260 km d’avance sur nous, et finalement nous arrivons sur Carhaix vers à peine 4 heures du matin, que cela m’a semblé rapide!
Dany, Christian et moi décidons de nous restaurer par un copieux petit déjeuner et nous faisons ensuite le plein des bidons et en route pour Brest. Nous descendons une route interminable qu’il nous faudra remonter! croisant des dizaines de cyclos, nous sommes dans les monts d’arrée.
A quelques dizaines de kilomètres de Brest, alors que la selle meurtrit de plus en plus notre postérieur qui n’en finit pas de rougir de douleurs, nous croisons sans le reconnaître le mari de Danièle(excuse moi je ne me rappelle plus de ton prénom), celui-ci nous rejoint peu de temps après sur son vélo, quel immense joie de retrouver un des nôtres venu nous soutenir en Bretagne dans ce périple.
A 9 heures 45 environ, nous atteignons enfin Brest sous le soleil s’il vous plaît, nous commencions à désespérer, tellement nous avions connus la pluie et le vent. On a basculé dans l’autre sens et ça change tout, le punch revient car on tient le bon bout. Nous attend Bernard Bianco venu nous encourager et prendre quelques clichés pour immortaliser ce moment, merci encore Bernard de ton soutien! Nous repartons vers 11 heures du matin. Je fais une halte à la pharmacie pour une crème antalgique et anti-inflammatoire tellement ma cheville gauche est devenu toute rouge et pour soigner une douleur intense derrière le genoux de Dany, à chacun ses bobos!
Nous remontons les monts d’arrée sous un vent violent et dangereux qui ne demande qu’à coucher le vélo sur le côté, chacun est donc sur ses gardes d’autant plus que la pluie semble s’inviter de nouveau, nous croisons alors au 27é km depuis Brest, Gilles, Joël, Patrick.
Dans cette montée interminable des monts d’arrée, je fais la rencontre d’une délicieuse et charmante canadienne : Sylvie, qui a déjà à son actif Montréal-Boston-Montréal, nous échangeons longtemps, bref, je suis sous le charme et complètement conquis, je ne sens même plus la douleur à ma cheville! ce n’est pas miraculeux! Merci encore Sylvie, je n’oublierai pas.
Enfin, Carhaix où nous faisons un véritable repas tellement ce passage a rudoyé nos articulations.
Plus que 85 km environ pour rejoindre Loudéac où nous devons dormir pour la 2é fois; que cela est difficile, les forces commencent à manquer de nouveau; les dernières montées car il n’y a que ça, sont dures et se montent à peine à plus de 11 km/h.
Loudéac est rejoint vers 20 h 30, ouf un peu de repos. Nous nous restaurons, douchons et sommes couchés vers 22 heures. Un bruit me réveille vers minuit 30, c’est la pluie sur le toit du gymnase et il faut se remettre dessous dans une 1/2 heure!
Nous voilà repartis de plus belles mais je n’ai plus aucune mobilité dans ma cheville gauche et la tendinite au talon d’Achille semble définitivement installée, ça ne va pas être facile à gérer bien que nous soyons sur la partie la moins vallonnée du PBP!
Un contrôle surprise à mi chemin entre Loudéac et Tinténiac nous fait le plus grand bien, une soupe chaude nous y attend ainsi que quelques gâteaux.
Nous passons Tinténiac puis Fougères vers 9h30, nous ne nous attardons pas trop longtemps et repartons aussitôt. Nous faisons un arrêt à Goron en Mayenne pour le repas de midi sur le parking du super U où les gens viennent nous voir, admiratifs qu’ils sont, devant une telle détermination et un tel courage nous confessent-ils.
Nous arrivons à Vilaines la Juhel où une foule innombrable nous attend sous des applaudissements nourris, l’ambiance y est encore plus festive. Le médecin me conseille d’abandonner vu l’état de ma cheville gauche gonflée et avec une tendinite de surcroît, ma réponse est négative et devant ma détermination sans faille, il me rappelle que le tendon peut se rompre à tout moment, je lui rétorque que je vais gérer cela au mieux de façon à ce qu’il prédit n’arrive pas. Il est vrai qu’il est difficile de demander à un cyclo d’arrêter alors que ses sensations lui disent que ça devrait aller jusqu’au bout.
Nous reprenons la route vers Mortagne au Perche où il est question de faire une troisième halte avant le final. La souplesse commence à me faire sérieusement défaut ayant de plus en plus de mal à tourner les jambes tellement la douleur est vive, je demande alors à Dany et Christian de ralentir le tempo.
Nous atteignons quand même Mortagne vers 21 heures 15 et nous sommes ravis, ça commence à sentir bon l’arrivée.
Ultime visite à l’infirmerie pour un dernier soin de la cheville et toujours même conseil du médecin.
Christian contrairement à ce qui avait été convenu veut reprendre la route aussitôt le repas pris, Dany et moi lui faisons remarquer que ce type d’erreur se paiera comptant et au prix fort entre Mortagne et Dreux. Il n’en démord pas et nous reprenons la route vers 23 heures et commence la galère.
La fatigue conjuguée à mes problèmes tendineux me font monter les bosses du perche à la vitesse d’un piéton, je trouve l’astuce de me décaler un peu plus à gauche sur ma selle pour libérer ma jambe douleureuse et pédaler uniquement avec l’autre, mais que c’est terriblement dur, je n’avance plus et ce sera comme ça jusqu’à Dreux. Christian quant à lui est au bord de l’endormissement ainsi que nous tous d’ailleurs; nous faisons une mini halte à Brezolles où je m’assoupis sur un banc 1/4 d’heure sous le regard d’un couple de retraités qui a ouvert sa fenêtre nous ayant entendu, et nous encourageant à 3 heures du matin! Nous repartons de plus belle vers Dreux que nous atteindrons vers 4 heures 45.
Je revois Sylvie venue de Montréal que j’avais rencontrée dans les monts d’arrée, son joli visage est tellement marqué par l’effort, elle esquisse quand même un sourire et se rendort sur la table. Sylvie est vraiment mon héroïne de ce Paris Brest Paris, mon admiration est grande et je n’ai pas pu le lui dire, qu’elle le sache si jamais elle lisait mon récit, (mon mail est bertrand.hourlier@wanadoo.fr)
Nous faisons un dernier repas complet et nous nous octroyons une heure de sommeil. Le réveil est de plus en plus dur, nous repartons et Dany crève 1/2 heure plus tard, c’est la dernière car nous avons crevé une fois chacun. Nous réparons. Nous nous dirigeons vers Guyancourt et un dernier arrêt dans la boulangerie de Gambais est nécessaire pour reprendre un peu de force, nous montons la redoutée montée de Gambaiseuil à 10 %, nous rejoignons Montfort et ça commence à sentir la délivrance. Nous arrivons aux Mousseaux quand nous apercevons nos amis du VCMB venus à notre rencontre et chose insolite, une voiture s’arrête à notre hauteur et la conductrice nous dit toute son admiration et sa reconnaissance face à ce défi et nous félicite encore devant le déluge météorologique, ce sont ces petits gestes qui font la renommée du PBP et qui nous vont droit au coeur et nous aident à terminer.
Nous entamons la dernière côte en bas d’Elancourt et quelques minutes plus tard, une immense joie nous envahit, nous sommes allés jusqu’au bout de nous-mêmes voire au-delà, c’est en même temps la délivrance et l’immense satisfaction d’avoir atteint notre but sous les regards et les applaudissements du public. Peut être nous les avons fait rêver quelques instants, ce serait déjà énorme! Rendez-vous en 2011.
Bertrand