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Lorsque je raconte à mes proches que je roule 200km en vélo certains samedis entre avril et août, ils ont souvent à mon égard une admiration du type de celle que moi j’éprouve à l’égard de ceux-là même avec lesquels je roule et qui eux se tapent des distances de deux à six fois supérieures. Pour ces derniers, je suis ce que Pascal Philippe appelle un touriste c’est à dire une sorte d’imposteur, de airbnb qui essaie de se fondre dans la population locale pour tirer profit des bienfaits et bénéfices dont jouissent les locaux sans pour autant être tenu des risques et désavantages qui leur incombent et qu’ils subissent; une sorte de privatisation des profits et de socialisation des risques comme disait mon professeur de droit des compagnies.
Bien que cette qualification de touriste ait été perçue comme choquante par les principaux intéressés (moi y compris) et qu’elle ait même poussé Pascal à s’amender pour y substituer l’expression plus convenue de cyclotouriste, j’ai réalisé samedi dernier (le 18 mai 2019) à quel point je n’étais rien de plus qu’un vulgaire touriste dans ce monde éclaté des randonneurs.
Nous étions peu nombreux à prendre le départ samedi passé compte tenu que cette sortie de 200 Km n’avait rien de sexy à offrir à ceux (nombreux) qui en cette année du Paris Brest avaient déjà à leur actif ce modeste brevet initial obligatoire. On était en fait seulement 7 participants, ce qui jurait avec la participation massive des samedis précédents mais qui en même temps facilitait le cadrage de la rituelle photo de groupe d’avant départ, d’autant plus qu’il y manquait une participante, Hanh, retardée par des obligations familio-professionelles. Dans ce lot figurait une personne venant de l’Ontario et parlant polynésien m’avait prévenu Jean en ce matin hostile de mai.
Le départ s’est fait sans plus de préliminaire. Comme à mon habitude, j’étais dans les premiers pour les premiers 500 mètres, question d’être premier en quelque part, en quelque chose. Puis, inévitablement, j’ai été dépassé puis largué par Alex, Éric et l’Ontarienne, Meylina. Je m’attendais donc à écumer les 199 Km restant en solitaire, englué dans le magmas réconfortant de mes pensées étranges comme c’est généralement le cas. Avant même de passer le chemin de St-Jean toutefois, Meylina, qui, arrêtée, attendait que les deux autres cyclistes avec lesquels elle était décident de soit continuer tout droit ou de tourner à gauche, me dit en anglais : «si vous voulez, je vais continuer avec vous car eux ne semblent pas connaître très bien l’itinéraire ». J’ai tout de suite acquiescé et me suis mis à lui montrer le trajet du mieux que je pouvais. Parlant avec elle en anglais, j’ai compris que sa participation au 200Km de Montréal tenait au fait qu’elle n’avait pu compléter ce 200Km en Ontario et que, désireuse de prendre part au PBP, elle devait obligatoirement avoir en main la complétion de ce brevet.
On a parlé en anglais de vélo, de brevets et d’autres choses et elle a poliment gardé ma roue jusqu’au premier point de contrôle à un point tel où je me disais que j’étais là en présence de mon soulmate de vélo: une espèce de partenaire de vélo idéal comme en croise parfois en sens inverse et qui semblent rouler de concert, en harmonie, comme en tandem virtuel. Évidemment, cela fut de courte durée car peu de temps après, elle m’a dit : «do you want me to pull ?». C’était la première fois de ma vie que j’avais a répondre à pareille question à laquelle j’ai, sans hésiter, répondu oui.
À l’approche de Covey Hill elle m’a dit: «on va y aller à notre rythme et on se verra passé le sommet». Je l’ai alors vu rapidement disparaître au lointain bien avant d’arriver aux tailleurs de pierres. Elle avait une force et une vitesse impressionnante et je me suis alors remis à mon magma de pensées intérieures.
Arrivé à Franklin, elle était là (sans doute depuis longtemps). En me voyant, elle m’a signifié sa présence et j’ai mangé à sa table. Nous sommes partis ensemble et avant le départ je lui ai dit, faisant fi de tout amour propre: «please pull me to my car!». J’ai alors essayé de suivre son rythme mais en vain. Elle a monté Covey Hill comme une machine, regardant parfois derrière elle pour s’assurer de ma présence qui faisait hélas de plus en plus défaut. J’ai donc terminé le 200Km seul comme un vieil aîné. On s’est croisés au contrôle de St-Edouard puis à St-Lambert. Elle m’a alors gentiment proposé un selfie qui figure maintenant sur Strava. Parlant de Strava, Meylina y affiche un palmarès époustouflant : des performances répétées et continues sans compter ses centaines de supporters. Elle peut maintenant compter sur l’admiration sans borne d’un touriste additionnel.
Stéphane Proulx