Un 400, les pieds devants

Publié le

par Alain Brunet

C’est avec à peine 1500 km de par­cou­ru sur mon vélo à posi­tion allongée (recum­bent pour les intimes) que je m’at­taquais à ce 400km. Depuis env­i­ron deux ans j’éprou­vais de plus en plus d’in­con­fort sur mon vélo droit, mal­gré un posi­tion­nement pour le moins fig­nolé. J’ai donc fais l’ac­qui­si­tion de ce vélo étrange dans le but pré­cis de remédi­er à mes incon­forts physiques et, dans le but à peine caché, de me met­tre sérieuse­ment aux brevets de longues dis­tances. Le 400km était pour moi, ou plutôt pout nous, le test qui allait m’indi­quer si j’avais fait un bon choix.

La veille de ce brevet je décide d’aller dormir dans un B&B, rue St-Charles dans le vieux Longueuil puisque les travaux saison­niers blo­quent trop de routes impor­tantes entre Mon­tréal et le point de départ des brevets. J’avais fail­li rater un départ lors des brevets précé­dents, mais rater le 400, il n’en était pas ques­tion.

4:00hres le cad­ran sonne. Douche rapi­de, j’en­file mes vête­ments de vélo, veille à ne rien laiss­er der­rière moi et quitte la cham­bre, direc­tion Parc de la voie mar­itime. 4:20h je descends mon vélo et déje­une tout en rassem­blant mes affaires pour la journée; out­ils, vête­ments de pluie (oui je sais il ne pleu­vra pas, mais je m’en sépare rarement), bis­cuits aux figues, gel (une ving­taine) un mail­lot de rechange et une trousse de répa­ra­tion.

5:00 on prend la pho­to de groupe. Pour une fois Jean y paraî­tra; l’épouse d’un cycliste prend la pho­to. Nous quit­terons quelques min­utes plus tard.

Le 100 rapide

Dès le départ, …les lièvres pren­nent la tête et s’in­stal­lent dans un tem­po qui leur con­vient tout à fait, et quelques cyclistes, dont je fait par­tie, s’y accroche en se dis­ant que ça dur­era ce que ça dur­era puis on décrochera quand on en aura assez. L’im­por­tant, étant de ne pas se met­tre en dette d’én­ergie pour plus tard. À défaut de quoi, la journée pour­rait être très longue… et souf­frante. Le pelo­ton, déjà pas très gros, s’ef­frite au fil des kilo­mètres; bien­tôt, nous ne sommes plus que trois (ou qua­tre?) à nous accrocher. Puis, tout à coup, le tem­po s’élève à 36–38km/h (et un peu plus) et là, ça éclate. Ils ne sont plus que qua­tre à fil­er comme s’ils avaient le vent dans les voìles. Les jambes d’aci­er s’en­v­o­lent. Ce «lift» me per­me­t­tra tout de même de par­courir les 100 pre­miers km à plus de 30km/h. J’e­spère ne pas avoir abusé. Je le saurai très bien­tôt puisqu’en repar­tant du pre­mier con­trôle on se mesure presqu’im­mé­di­ate­ment à la Joy­Hill.

Le 200 difficile

Les 200 prochains kilo­mètres sont, selon moi, les plus dif­fi­ciles physique­ment. Les plus impor­tantes et dif­fi­ciles côtes du par­cours sont toutes dans ce tronçon. Joy­hill et Scenic s’y retrou­ve, sans compter d’autres côtes que j’ai eu le temps de bap­tis­er (ou rebap­tis­er?) dix fois pen­dant leur ascen­sion. Per­son­nelle­ment, «l’ar­rière de la Scenic» et celle, dont j’ig­nore si elle a un nom, sur le chemin Cooledge (il me sem­ble?) à Knowl­ton-Land­ing et qui longe le lac mem­phré­m­a­gog en se dirigeant vers l’ab­baye St-Benoît-du-lac, sont les plus dif­fi­ciles. Et d’autres encore. Elles m’ont fait mal et pour­tant je les aime ces côtes qui nous for­cent à nous dépass­er et qui nous appren­nent à pédaler intel­ligem­ment. Au 180ième km, je regarde mon comp­teur et con­state que je suis encore en bon état. Je reste pru­dent puisque je n’ai aucune idée de la façon dont mon corps se com­portera au delà de 300km, ma plus longue dis­tance à vie.

Une fois sur le droit des routes 243 et 104, vers l’est, j’ai le sen­ti­ment qu’une grosse par­tie du tra­vail est der­rière moi, mais je suis bien con­scient de n’avoir par­cou­ru que la moitié de la dis­tance. Cette sec­tion demande beau­coup d’at­ten­tion dans la lec­ture de feuille de route et le temps passe sans que j’en prenne vrai­ment con­science. À un moment, je dois m’ar­rêter pour deman­der ma route, ques­tion de con­firmer mon impres­sion. Une dame me con­firme l’ori­en­ta­tion et je pour­su­is mon chemin. Lorsque je tourne sur la 139 sud, vers Sut­ton, mon estom­ac me lance de grands cris de famine. J’ai beau lui envoy­er des sucres de toutes sortes, il n’en demeure pas moins vide et demande un repas plus sub­stantiel. J’ar­rive à Sut­ton avec une cer­taine fatigue générale, mais pas d’in­con­forts physiques.

Quelques badauds me ques­tion­nent sur mon engin (vélo.),la ques­tion du con­fort vient en pre­mier. Ce à quoi je répond qu’après 220km depuis le matin, je n’ai aucune douleur. nulle part! Ils ne savent pas trop si je suis sérieux ou si je me foue de leurs gueules; ils affichent des mines incré­d­ules, et exam­i­nent de plus près ma mon­ture. Je com­mence à m’y habituer, ça m’ar­rive tout le temps.

Après un peu plus de trentes min­utes d’ar­rêt, un bon sand­wich et salade de pâte, je m’ap­prête à repren­dre la route lorsque Gilles me dit qu’il ne tardera pas à repar­tir lui non plus. j’ai un moment d’hési­ta­tion, puis je décide de par­tir sans l’at­ten­dre. Rouler en recum­bent rend dif­fi­cile la cohab­i­ta­tion sur un tra­jet aus­si acci­den­té parce que je suis beau­coup plus rapi­de dans les descentes, par­fois plus rapi­de sur le plat et sou­vent moins rapi­de dans les longues ascen­sions. J’opte donc de rouler seul et de respecter mon rythme. Plus tard, à l’ar­rivée, Gilles me con­fi­ra qu’il m’a utilise comme lièvre. Finale­ment, ça l’a peut-être davan­tage stim­ulé de m’avoir devant plutôt qu’avec lui. De mon côté, j’avoue que je regar­dais régulière­ment dans mon rétro­viseur; c’é­tait stim­u­lant.

J’ar­rive au troisième con­trôle en ayant l’im­pres­sion que je viens tout juste de quit­ter le sec­ond. Rapi­de­ment, je fais sign­er ma carte, fais le plein de mes bouteilles, et repars sans tarder. À ce moment-là, sur la 112 vers l’est, je fais un petit cal­cul pour pro­jet­ter sur mon heure prob­a­ble d’ar­rivée; com­pléter en moins de 18 heures est pos­si­ble, très pos­si­ble, sauf en cas de pépin, bien sûr. Je roule prudem­ment, en gérant du mieux que je peux mes efforts, surtout dans les mon­tés. Lorsque je tourne vers le Nord à East­man, j’ai le sen­ti­ment que c’est là que j’en­tame réelle­ment mon retour. Je longe le mont Orford et ses faux-plats, tout en me déten­dant pour ne pas gaspiller mes éner­gies inutile­ment.

Le 100 euphorique

La route 220 donne une nou­velle dimen­sion au tra­jet. Le décor est soudaine­ment plus ouvert et les longs val­lons me for­cent encore une fois à l’é­conomie de moyens. Après War­den, le petit rang m’of­fre les dernières côtes un peu abruptes (mais cour­tes) du tra­jets. Les jambes répon­dent tou­jours bien même si je ne me sens plus aus­si frais depuis un bon moment. Le retour sur la 112 signe défini­tive­ment le retour sur le plat. Je suis à nou­veau sur le ter­rain préféré de mon vélo.

Je regarde l’heure et refais mes cal­culs. Je vais ter­min­er en moins de 18 heures, c’est cer­tain. Peut-être même en moins de 17. Mon objec­tif de départ était 20 heures. Je suis porté par l’én­ergie que me donne cette per­spec­tive. Je pousse un peu plus sur les pédales, prudem­ment toute­fois, je ne veux surtout pas explos­er et finir en décon­fi­ture. Je passe à Gran­by, ça me ralen­ti un peu de rouler en ville, d’au­tant plus que les pistes cyclabes c’est pas ce qu’il y a de mieux pour la vitesse en mil­lieu urbain parce qu’on doit con­stam­ment ralen­tir et relancer aux croise­ments des rues.

Une fois sor­ti de Gran­by je peux à nou­veau rouler à vitesse régulière; avec 300 km au comp­teur j’ar­rive tou­jours à rouler à plus de 30km/hre., ça m’é­tonne.

À St-Césaire, au 4ième con­trôle, je me sens vrai­ment bien, je n’ai aucun incon­forts physiques et je crois que je pour­rai finale­ment arriv­er sous le seuil de 17 heures. Je me dépêche à faire sign­er ma carte et à rem­plir mes bouteilles et je repars aus­sitôt.

Entre les 3ième et 4ième con­trôles je main­tiens 32 à 34 km/hre. sur de grandes dis­tances. Je file dans les champs, le soir tombe, la lumière est pure, le moment mag­ique. Faire du vélo con­tin­ue à me combler, même après toutes ces années de pra­tique.

J’ar­rive en secteur urbain, là où je suis le moins con­fort­able parce que la nav­i­ga­tion me pose sou­vent des prob­lèmes avec toutes ces rues qui sont trop rap­prochées pour moi, qui vit à la cam­pagne. Dans la pénom­bre c’est encore pire. Sur Grande-allée, je me paye une belle fouille en roulant dans un …cratère” de 10cm de pro­fondeur. Je déchire mon cuis­sard et ma veste, mais pire, je voile ma roue avant. Je repars tout de même, déter­miné à finir en moins de 17 heures. Je m’é­gare, bien enten­du, pour assur­er le sus­pense jusqu’à la fin; vais-je faire le con­trôle avant les 17 heures??? Je tri­cotte un peu dans les rues autour du dernier con­trôle, puis, 12 min­utes avant le seuil des 17 heures, je poinçonne.

C’est mon pre­mier 400km à vie, 16:48hre., je suis plus que sat­is­fait.

Fatigué, sat­is­fait et sans cour­ba­tures, aucunes, je retourne douce­ment à ma voiture. Une fois au sta­tion­nement, je vois Gilles, il est bien sat­is­fait lui aus­si, de son temps et de sa journée. Nous n’avons pas roulé ensem­ble, mais j’ai tout de même le sen­ti­ment que nous avons été com­pagnons de route. Il y a tou­jours une com­plic­ité entre les ran­don­neurs.

Je place mon étrange vélo dans ma van et me dis que jamais je n’au­rais cru pou­voir par­courir 400 km et ter­min­er aus­si frais.

Mer­ci au CVRM!