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La météo donnait de raisonnables probabilités d’averses et j’étais prêt à presque tout, incluant l’abandon, la panne au milieu de nulle part, en pleine noirceur, etc.
Alors j’ai pris mon cinelli mash, un vélo à une vitesse, monté en fixie (47 x 15) et avec une roue arrière en flip-flop (pour changer du mode fixe à roue libre, au besoin) et un deuxième plateau de rechange (42 dents) pour mieux affronter les pentes. J’ai rejoint le groupe à St-Lambert. Dans mon sac, j’avais mes provisions et quelques extras, avec l’idée que je naviguerais seul la plupart du temps.
Ma plus longue distance en vélo de route avait été de 285 km, et en fixie, de 271. Faire le 600 km se révélait un risque important que je me cru capable de réaliser mais en sachant très bien que tout pourrais foirer pour toutes sortes de raisons imprévisibles.
Nous sommes partis dans la noirceur humide et brumeuse d’une aube incertaine. Mon GPS qui comportait les données du trajet a fait des siennes et a fait un “reboot”. 10 minutes plus tard, il s’était discipliné. Nous pédalions bien et après une heure, le groupe principal s’est scindé assez rapidement. J’étais un peu dans la lune et me suis fourvoyé souvent de direction, même si mon GPS me donnait l’heure juste. Cela a bien fait rire Jean Robert d’ailleurs (et avec raison)!
À St-Césaire, premier point de contrôle, tout allait assez bien. J’avais un peu le cafard par contre, et cela me gênera pendant les 60km suivants. J’ai alors pris la décision de prendre des pauses aux 50 km environs, le temps de ne pas gâcher la motivation, m’économiser les jambes pour plus tard, ce que je fis pour les 100km suivants seulement. Passé 110km, j’étais vraiment immergé dans l’expérience.
Une des premières pentes fut abordée assez bien et j’ai passé le groupe qui me précédait. Je pense que cela les a surpris. D’ailleurs, on me fit le commentaire, discrètement, que les gens étaient étonnés de me voir, et je pense que le consensus était que j’allais abandonner tôt ou tard. Ce groupe m’a d’ailleurs repassé plus tard alors que j’étais perdu dans mes pensées.
Contrairement à ce que les gens pensent, les pentes se montent bien en fixie, mais les descentes peuvent être périlleuses! À 57 km/h, la cadence tourne autour de 143 tr/min! Dans ces circonstances, en roue solidaire, les risques d’éjection sont bien réels, sans compter l’handicap additionnel de perdre de l’énergie à contrôler un pédalage qui aurait pu être utilisé plus tard!!! Finalement, les descentes se sont bien faites, à la limite de la prudence et sans trop de risques. Un belle façon de s’injecter de l’adrénaline pour pas cher!
Au deuxième contrôle, à Compton (vers 12:50), je suis accompagné de Jean Robert. On a discuté un peu et bien mangé. Le temps était bon mais le plafond restait bas; on ne verra probablement pas le soleil ce jour-là! On mange assez bien et j’ai pris mon temps. Avec près d’une heure 30 de pause, je suis reparti non sans changer la roue arrière en mode “roue libre” et échanger le plateau de 47 dents pour celui de 42. Me voilà prêt à attaquer les pentes, en montée comme en descente! J’ai laissé derrière moi 2 randonneurs, et devant, un bon groupe a décollé depuis un bon 45 minutes.
J’entame les côtes assez bien et les descentes sont plus rapides: 60 — 65 km/heures. Les routes sont agréables et l’asphalte en assez bonne condition (ce qui est vrai pour pratiquement tout le parcours).
Cookshire: 235 km de faits. Il est 16:10 à l’arrivée. Je vois les gens que j’avais laissés partir avant moi de Compton, et ils semble que je n’ai pas vraiment pris du retard sur eux. Ils repartent, alors que notre couple de Grands Randonneurs de Toronto, Eleonor et Franz arrivent. Des gens expérimentés et sympathiques!
Je pars peu de temps après. Les longues et hautes côtes qui mènent au Mont Mégantic se succèdent prodigieusement et franchement, je me sens bien! Il me semble que la vie est belle et que le Monde s’offre à moi! D’autant plus que je suis seul et le pédalage me semble naturel, aisé. En route, je rencontre Sylvain, qui abandonnera plus tard. Sylvain qui s’est lancé dans cette aventure avec moins de kilométrage dans les jambes, mais grand courage. Beaucoup de respect pour ton “guts” Sylvain! Puis on rencontre Fred qui me demandera de rapporter son abandon: épuisement des stocks de tubes. Je vis alors un dilemme: est-ce que je lui offre un de mes 2 tubes? Comme il semble décidé à abandonner (et comme il l’a accompli une fois déjà ce 600km, que sa femme viendra le chercher, alors que pour moi c’est mon premier 600, que je n’ai que 2 tubes, aucun moyen de revenir sinon par mes propres moyens.). On se reverra Fred et j’espère avoir les moyens de t’aider cette fois-là!
Puis c’est l’arrivée au petit village juste avant les 2 pics du Mont Mégantic. Je dois dire que je suis perdu: je n’ai pas de montre, et pas vraiment de notion du temps. mais il semble que le soleil se couche. Le groupe qui me précédait m’accueille. Je me demande s’ils sont surpris de me voir. Je suis un peu essoufflé, mais je suis bien. Le couple torontois suit de près, et Sylvain aussi. Encore une fois, je laisse partir le groupe que je suis depuis un temps mais pas trop longtemps après, je quitte. La pente est lourde mais l’effort est bon! Je grimpe à fond, lentement mais sûrement. S’ensuivirent les longues descentes dans la nuit. J’ai deux lampes; une faible dont l’autonomie m’est inconnue, l’autre, forte, mais à autonomie de 3 heures. J’épargne la forte en pensant que j’aurai probablement à rouler de nuit. Erreur! Ça va vite; 40 km et plus, et trop souvent, les fissures dans le bitume me sont invisibles et ma roue avant s’y insère. À plusieurs reprises je lutte mais je réussi à m’en extirper! J’arrive finalement à Lac Mégantic vers 22:15, et je retrouve mon groupe et le couple torontois attablés ça et là, se restaurer.
Moi, je dois décider à savoir si je fais la route de nuit et mets de côté tout plan de sommeil, ou encore, de crécher soit au Tim Horton de Lac Mégantic, ou de dormir à Lennoxville. Martin me propose de les accompagner, et réserver avant l’heure limite de 23:30. J’accepte. On est alors parti dans la noirceur.
Ce fut une nuit formidable! Il faut imaginer rouler sous un ciel ennuagé, avec une lune pleine, mais timide et en silence, sinon pour le son des tours de roue et de pédale, et des quelques commentaires épars. Mais imaginer n’est pas le vivre! Sentir que l’effort que nous devons faire graduellement est dû à une pente que l’on ne pouvait voir venir dans la nuit! Quelle sensation extraordinaire!
Nous sommes arrivés vers 3:30 du matin à Lennoxville, sales de sueur, fatigués. Près de 4 heures plus tard, Martin, Jean et moi étions à nouveau sur la route. Nous avons gravi les pentes qui suivirent: Collège, Dunant. Puis nous avons enfilé la montée Southière comme on enfile une aiguille, et le chemin des Pères. Des montagnes russes à grande échelle! Je prends souvent de l’avance en montée, ce qui fait que j’attends mes comparses de temps à autres. J’ai bien fait d’ailleurs: grâce à eux, je finirai cette randonnée un peu folle! Nous avons croisé une compétition de triathlon à Magog. Je crois qu’ils étaient surpris de nous voir pédaler ou descendre en position aérodynamique. mais dans le sens inverse! Nous avons eu des applaudissements à quelques reprises lors de ce trajet partagé, et de quelques jolis sourires.
Les choses se sont gâtées un peu toutefois; depuis quelques heures, le vent s’est levé, et il nous fait face. Il m’a semblé être très fort, mais ce devait être la fatigue, car les rapports météos annonçaient des vents de 20km/hr. Le retour fut difficile, mais on a joué à la locomotive musicale, avec le sifflement du vent dans nos oreilles. J’en ai arraché un peu. Le porte bidon est tombé (le genre triathlon qui s’attache aux rails de selle) suite à la traversée d’une voie de chemin de fer. Arrivé en ville, nous avons dû lutter contre des feux de circulations qui nous bloquaient trop souvent. Ma roue libre s’est aussi mise à faire des siennes dans les derniers 30km: alors que je relaxe et me laisse aller de mon élan, la roue libre se désenclenche et me donne un coup de pédale dans les jambes. Très désagréable! Nous avons finalement atterri au dernier point de contrôle à 18:09.
Je dois dire que je n’étais pas peu fier, et aussi soulagé, mais surtout très heureux de cette randonnée. J’avais le coeur à la fête!
Merci au CVRM pour ce superbe parcours du combattant avec pleins de beaux défis! Je la referai encore l’an prochain, et je vise le Paris-Brest-Paris.
Carl Morin
24 juillet 2010