Un parcours du combattant pour le ‘fixie rider’ par Carl Morin

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La météo don­nait de raisonnables prob­a­bil­ités d’a­vers­es et j’é­tais prêt à presque tout, inclu­ant l’a­ban­don, la panne au milieu de nulle part, en pleine noirceur, etc.

Alors j’ai pris mon cinel­li mash, un vélo à une vitesse, mon­té en fix­ie (47 x 15) et avec une roue arrière en flip-flop (pour chang­er du mode fixe à roue libre, au besoin) et un deux­ième plateau de rechange (42 dents) pour mieux affron­ter les pentes. J’ai rejoint le groupe à St-Lam­bert. Dans mon sac, j’avais mes pro­vi­sions et quelques extras, avec l’idée que je nav­iguerais seul la plu­part du temps.

Ma plus longue dis­tance en vélo de route avait été de 285 km, et en fix­ie, de 271. Faire le 600 km se révélait un risque impor­tant que je me cru capa­ble de réalis­er mais en sachant très bien que tout pour­rais foir­er pour toutes sortes de raisons imprévis­i­bles.

Nous sommes par­tis dans la noirceur humide et brumeuse d’une aube incer­taine. Mon GPS qui com­por­tait les don­nées du tra­jet a fait des siennes et a fait un “reboot”. 10 min­utes plus tard, il s’é­tait dis­ci­pliné. Nous pédalions bien et après une heure, le groupe prin­ci­pal s’est scindé assez rapi­de­ment. J’é­tais un peu dans la lune et me suis four­voyé sou­vent de direc­tion, même si mon GPS me don­nait l’heure juste. Cela a bien fait rire Jean Robert d’ailleurs (et avec rai­son)!

À St-Césaire, pre­mier point de con­trôle, tout allait assez bien. J’avais un peu le cafard par con­tre, et cela me gên­era pen­dant les 60km suiv­ants. J’ai alors pris la déci­sion de pren­dre des paus­es aux 50 km envi­rons, le temps de ne pas gâch­er la moti­va­tion, m’é­conomiser les jambes pour plus tard, ce que je fis pour les 100km suiv­ants seule­ment. Passé 110km, j’é­tais vrai­ment immergé dans l’ex­péri­ence.

Une des pre­mières pentes fut abor­dée assez bien et j’ai passé le groupe qui me précé­dait. Je pense que cela les a sur­pris. D’ailleurs, on me fit le com­men­taire, dis­crète­ment, que les gens étaient éton­nés de me voir, et je pense que le con­sen­sus était que j’al­lais aban­don­ner tôt ou tard. Ce groupe m’a d’ailleurs repassé plus tard alors que j’é­tais per­du dans mes pen­sées.

Con­traire­ment à ce que les gens pensent, les pentes se mon­tent bien en fix­ie, mais les descentes peu­vent être périlleuses! À 57 km/h, la cadence tourne autour de 143 tr/min! Dans ces cir­con­stances, en roue sol­idaire, les risques d’é­jec­tion sont bien réels, sans compter l’hand­i­cap addi­tion­nel de per­dre de l’én­ergie à con­trôler un pédalage qui aurait pu être util­isé plus tard!!! Finale­ment, les descentes se sont bien faites, à la lim­ite de la pru­dence et sans trop de risques. Un belle façon de s’in­jecter de l’adré­naline pour pas cher!

Au deux­ième con­trôle, à Comp­ton (vers 12:50), je suis accom­pa­g­né de Jean Robert. On a dis­cuté un peu et bien mangé. Le temps était bon mais le pla­fond restait bas; on ne ver­ra prob­a­ble­ment pas le soleil ce jour-là! On mange assez bien et j’ai pris mon temps. Avec près d’une heure 30 de pause, je suis repar­ti non sans chang­er la roue arrière en mode “roue libre” et échang­er le plateau de 47 dents pour celui de 42. Me voilà prêt à atta­quer les pentes, en mon­tée comme en descente! J’ai lais­sé der­rière moi 2 ran­don­neurs, et devant, un bon groupe a décol­lé depuis un bon 45 min­utes.

J’en­tame les côtes assez bien et les descentes sont plus rapi­des: 60 — 65 km/heures. Les routes sont agréables et l’as­phalte en assez bonne con­di­tion (ce qui est vrai pour pra­tique­ment tout le par­cours).

Cook­shire: 235 km de faits. Il est 16:10 à l’ar­rivée. Je vois les gens que j’avais lais­sés par­tir avant moi de Comp­ton, et ils sem­ble que je n’ai pas vrai­ment pris du retard sur eux. Ils repar­tent, alors que notre cou­ple de Grands Ran­don­neurs de Toron­to, Eleonor et Franz arrivent. Des gens expéri­men­tés et sym­pa­thiques!

Je pars peu de temps après. Les longues et hautes côtes qui mènent au Mont Mégan­tic se suc­cè­dent prodigieuse­ment et franche­ment, je me sens bien! Il me sem­ble que la vie est belle et que le Monde s’of­fre à moi! D’au­tant plus que je suis seul et le pédalage me sem­ble naturel, aisé. En route, je ren­con­tre Syl­vain, qui aban­don­nera plus tard. Syl­vain qui s’est lancé dans cette aven­ture avec moins de kilo­mé­trage dans les jambes, mais grand courage. Beau­coup de respect pour ton “guts” Syl­vain! Puis on ren­con­tre Fred qui me deman­dera de rap­porter son aban­don: épuise­ment des stocks de tubes. Je vis alors un dilemme: est-ce que je lui offre un de mes 2 tubes? Comme il sem­ble décidé à aban­don­ner (et comme il l’a accom­pli une fois déjà ce 600km, que sa femme vien­dra le chercher, alors que pour moi c’est mon pre­mier 600, que je n’ai que 2 tubes, aucun moyen de revenir sinon par mes pro­pres moyens.). On se rever­ra Fred et j’e­spère avoir les moyens de t’aider cette fois-là!

Puis c’est l’ar­rivée au petit vil­lage juste avant les 2 pics du Mont Mégan­tic. Je dois dire que je suis per­du: je n’ai pas de mon­tre, et pas vrai­ment de notion du temps. mais il sem­ble que le soleil se couche. Le groupe qui me précé­dait m’ac­cueille. Je me demande s’ils sont sur­pris de me voir. Je suis un peu essouf­flé, mais je suis bien. Le cou­ple toron­tois suit de près, et Syl­vain aus­si. Encore une fois, je laisse par­tir le groupe que je suis depuis un temps mais pas trop longtemps après, je quitte. La pente est lourde mais l’ef­fort est bon! Je grimpe à fond, lente­ment mais sûre­ment. S’en­suivirent les longues descentes dans la nuit. J’ai deux lam­pes; une faible dont l’au­tonomie m’est incon­nue, l’autre, forte, mais à autonomie de 3 heures. J’é­pargne la forte en pen­sant que j’au­rai prob­a­ble­ment à rouler de nuit. Erreur! Ça va vite; 40 km et plus, et trop sou­vent, les fis­sures dans le bitume me sont invis­i­bles et ma roue avant s’y insère. À plusieurs repris­es je lutte mais je réus­si à m’en extir­p­er! J’ar­rive finale­ment à Lac Mégan­tic vers 22:15, et je retrou­ve mon groupe et le cou­ple toron­tois attablés ça et là, se restau­r­er.

Moi, je dois décider à savoir si je fais la route de nuit et mets de côté tout plan de som­meil, ou encore, de créch­er soit au Tim Hor­ton de Lac Mégan­tic, ou de dormir à Lennoxville. Mar­tin me pro­pose de les accom­pa­g­n­er, et réserv­er avant l’heure lim­ite de 23:30. J’ac­cepte. On est alors par­ti dans la noirceur.

Ce fut une nuit for­mi­da­ble! Il faut imag­in­er rouler sous un ciel ennu­agé, avec une lune pleine, mais timide et en silence, sinon pour le son des tours de roue et de pédale, et des quelques com­men­taires épars. Mais imag­in­er n’est pas le vivre! Sen­tir que l’ef­fort que nous devons faire gradu­elle­ment est dû à une pente que l’on ne pou­vait voir venir dans la nuit! Quelle sen­sa­tion extra­or­di­naire!

Nous sommes arrivés vers 3:30 du matin à Lennoxville, sales de sueur, fatigués. Près de 4 heures plus tard, Mar­tin, Jean et moi étions à nou­veau sur la route. Nous avons gravi les pentes qui suivirent: Col­lège, Dunant. Puis nous avons enfilé la mon­tée Southière comme on enfile une aigu­ille, et le chemin des Pères. Des mon­tagnes russ­es à grande échelle! Je prends sou­vent de l’a­vance en mon­tée, ce qui fait que j’at­tends mes com­pars­es de temps à autres. J’ai bien fait d’ailleurs: grâce à eux, je fini­rai cette ran­don­née un peu folle! Nous avons croisé une com­péti­tion de triathlon à Magog. Je crois qu’ils étaient sur­pris de nous voir pédaler ou descen­dre en posi­tion aéro­dy­namique. mais dans le sens inverse! Nous avons eu des applaud­isse­ments à quelques repris­es lors de ce tra­jet partagé, et de quelques jolis sourires.

Les choses se sont gâtées un peu toute­fois; depuis quelques heures, le vent s’est levé, et il nous fait face. Il m’a sem­blé être très fort, mais ce devait être la fatigue, car les rap­ports météos annonçaient des vents de 20km/hr. Le retour fut dif­fi­cile, mais on a joué à la loco­mo­tive musi­cale, avec le sif­fle­ment du vent dans nos oreilles. J’en ai arraché un peu. Le porte bidon est tombé (le genre triathlon qui s’at­tache aux rails de selle) suite à la tra­ver­sée d’une voie de chemin de fer. Arrivé en ville, nous avons dû lut­ter con­tre des feux de cir­cu­la­tions qui nous blo­quaient trop sou­vent. Ma roue libre s’est aus­si mise à faire des siennes dans les derniers 30km: alors que je relaxe et me laisse aller de mon élan, la roue libre se désen­clenche et me donne un coup de pédale dans les jambes. Très désagréable! Nous avons finale­ment atter­ri au dernier point de con­trôle à 18:09.

Je dois dire que je n’é­tais pas peu fier, et aus­si soulagé, mais surtout très heureux de cette ran­don­née. J’avais le coeur à la fête!

Mer­ci au CVRM pour ce superbe par­cours du com­bat­tant avec pleins de beaux défis! Je la referai encore l’an prochain, et je vise le Paris-Brest-Paris.

Carl Morin

24 juil­let 2010